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Infractions dans l'espace: comment s'applique la loi hors de la Terre?

Vue d'artiste d'un astéroïde.

Vue d'artiste d'un astéroïde. - NASA / JPL / CALTECH / T.PYLE

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Face à la croissance de l'activité spatiale, la question de l'application du droit hors de la Terre devrait se poser de plus en plus fréquemment au cours des années à venir. Non sans difficultés dans certains cas.

C'est un possible délit qui fait couler beaucoup d'encre et soulève des questions juridiques peu habituelles. Le 23 août dernier, le New York Times se faisait l'écho d'une infraction qui se serait déroulée dans... l'espace. Une astronaute américaine, Anne McClain, est accusée d'usurpation d'identité et d'accès irréguliers aux dossiers financiers de son ancienne épouse, Summer Worden, alors qu'elle se trouvait à bord de la Station spatiale internationale (ISS).

Quelques jours après ce récit, dans un autre registre, l'Agence spatiale européenne (ESA) annonçait le 3 septembre avoir évité une possible collision entre un satellite de sa flotte et l'un de ses homologues de SpaceX.

Ces deux faits divers distincts ont en commun le fait d'avoir comme toile de fond un lieu extraterrestre et posent chacun la question de l'application du droit lorsque les faits se déroulent en orbite. Comment appréhender juridiquement un litige, une infraction ou encore un accident qui aurait lieu dans l'espace?

L'espace, une zone de non-droit?

"L'espace n'est définitivement pas une zone de non-droit, même s'il y a encore des zones d'ombre", souligne Me Cécile Gaubert, avocate au barreau de Paris intervenant régulièrement dans le secteur spatial, contactée par BFMTV.com. Dans le cas de la commission d'une infraction dans l'espace, "le droit pénal va s'appliquer, mais la question sera 'de quel droit pénal parle-t-on?'", résume la juriste.

"Il n'y a pas de droit pénal spatial qui serait distinct des États", corrobore Me Alain Bensoussan, contacté par BFMTV.com, avocat parisien spécialiste du droit des robots, notamment dans l'espace. 

Ainsi, plusieurs traités internationaux ont été signés entre les États dits "spatiaux". Parmi ces textes, un accord intergouvernemental a été signé à Washington par le Canada, les États membres de l'ESA, le Japon, la Russie et les États-Unis concernant l'ISS, le 29 janvier 1998.

L'accord a été retranscrit en 2005 en droit français. C'est l'article 22 de ce décret, intitulé "juridiction pénale", qui régit pénalement "cette forme particulière de coopération internationale dans l'espace". 

Pas de tribunal spatial mais une répartition des compétences entre les États

Dans le cas de l'accusation d'usurpation d'identité à bord de l'ISS relatée par le New York Times, l'ancienne épouse de l'astronaute a porté plainte auprès de la Commission fédérale du commerce après avoir appris que son ex-conjointe avait eu accès à leur compte bancaire commun sans en avoir la permission. Sa famille a également déposé une plainte auprès de l'inspection générale de la Nasa.

Ce qui aurait pu rester une banale bisbille revêt une particularité de taille: les faits incriminés auraient été commis alors qu'Anne McClain se trouvait à bord de la Station spatiale internationale (ISS), au cours d'une mission de six mois. Un enquêteur spécialisé et l'inspection générale de la Nasa examinent l'accusation, selon le quotidien américain.

"En application de cet accord, le cas d'espèce de l'astronaute accusée d'usurpation d'identité est relativement simple. Ce sera la juridiction pénale américaine qui sera compétente. On va utiliser la nationalité de l'astronaute pour déterminer la compétence", explique Cécile Gaubert.

Une compétence qui pourrait aussi se justifier par un autre critère, pour Me Bensoussan: "C'est la loi du lieu du dommage qui va s'appliquer", en l'occurrence les États-Unis.

Dans certains cas, la compétence sera moins évidente. "Par exemple, échafaude Me Bensoussan, un Russe qui se trouverait dans la partie américaine de l'ISS attaque (par exemple une attaque informatique, ndlr) la France. Là, il y a trois pays qui se trouvent en concours de compétence, il faudra qu'ils se concertent (pour désigner une juridiction pénale). Sachant que dans la plupart des pays démocratiques, on ne peut pas être condamné deux fois pour la même infraction."

"Mais à ce jour, il n'y a jamais eu de poursuites pour une infraction qui aurait été commise dans l'ISS", souligne Cécile Gaubert.

Les collisions entre satellites, un litige qui se règle d'État à État

Dans le cas de la possible collision entre deux satellites évitée par l'Agence spatiale européenne, le raisonnement juridique repose sur d'autres fondements.

"Les orbites ont été calculées pour qu'ils ne se rencontrent pas", rappelle Alain Bensoussan. Néanmoins, le cas peut se présenter.

"L'ESA a effectué 28 manoeuvres d'évitement de collision en 2018 à cause d'un satellite inactif ou des fragments d'une collision précédente. Calcul des trajectoires, du risque de collision, des conséquences des différentes actions possibles... Ces manoeuvres prennent beaucoup de temps", a expliqué l'Agence sur son compte Twitter.

"On va être là sur un autre type de responsabilité, pas pénale mais plutôt civile, analyse Me Gaubert. On va utiliser la convention de 1972 qui pose la règle de la responsabilité des États de lancement. (...) Ces États de lancement pourraient donc demander réparation si un dommage avait été constaté."

Des cas amenés à se multiplier?

"Aux niveaux nationaux, on a vu sur les quinze - vingt dernières années une multiplication d'États qui se sont dotés d'une loi spatiale car ils veulent développer l'activité", rappelle Me Gaubert. En France, une loi relative aux opérations spatiales a été promulguée en 2008. "Le grand sujet dont on parle en ce moment, c'est l'exploitation des ressources spatiales", poursuit la juriste.

Avec l'augmentation de l'activité dans l'espace, on pourrait mécaniquement s'attendre à une augmentation des infractions et litiges en milieu spatial. Illustration de cet engouement: ce vendredi, l'Inde ambitionne de réaliser son premier alunissage.

Clarisse Martin