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Canicule

"Effet de brûlure", échaudage... Comment la canicule va affecter le vin de 2023

Photo d'illustration.

Photo d'illustration. - STEPHANE DE SAKUTIN © 2019 AFP

La canicule tardive et la sécheresse qui frappent la France ne seront pas sans effet sur les vignobles. Et, en fin de course, sur le millésime qui sera mis en bouteille.

Plus fortes en alcool et sûrement plus chères, les bouteilles de vin millésimées 2023 s'annoncent uniques en leur genre. La raison? Une année de sécheresse conjuguée à une canicule particulièrement tardive et intense.

"On ne devrait plus voir les 40°C dépassés après le 15 août, nous sommes confrontés à une canicule tardive", détaille auprès de BFMTV.com Serge Zaka, docteur en agroclimatologie.

En plus d'être situé dans la deuxième moitié du mois d'août, ce phénomène est intense. "Il s'agit de la première fois que les vignes restent à ces températures pendant 5 à 6 jours (...) avec 43°C à certains endroits, les plants vont atteindre leur résistance physiologique. Et avec, potentiellement, des dégâts massifs", complète-t-il.

Une situation aggravée dans certaines régions

Certains domaines seront plus affectés par la canicule que d'autres, comme le souligne Jean-Marie Fabre, le président des Vignerons indépendants de France et exploitant du domaine de la Rochelierre (Aude).

"La canicule va aggraver la situation dans les zones qui connaissent déjà une extrême sécheresse. Je pense au Roussillon, aux Pyrénées-Orientales et à la frange littorale de l'Hérault où il n'y a pas d'eau depuis maintenant 15 mois. Là-bas, les conditions sont pires que désertiques", déplore le vigneron.

"Effet de brûlure"

Les effets précis de la chaleur sur la vigne et les baies (le raisin) sont nombreux et presque toujours délétères. La gradation des dégâts doit cependant être tempérée en fonction du niveau de sécheresse, de chaleur, de la durée d'ensoleillement, etc.

Premier risque, un "effet de brûlure", comme l'explique Jean-Marie Fabre. En l'absence de feuillage, ou avec des feuillages fins et épars, les baies peuvent être exposées longuement à un soleil vif. Leur peau peut donc brûler, rendant certains fruits inutilisables pour la fabrication de vin.

D'autres sont simplement endommagés, ce qui, au final, risque d'altérer le goût de la boisson:

"Il n'y a cependant pas d'incidence sur la qualité générale", tempère le vigneron.

Autre problème potentiel, "l'échaudage". Un fruit qui, sous l'effet de la chaleur, transpire lentement son contenu en eau et s'assèche. Si le résultat n'est pas un raisin sec, moins d'eau signifie moins de jus, et donc moins de vin.

Sur ce point, les vignobles les moins exposés à la sécheresse, et dont les vendanges n'auront pas lieu avant plusieurs semaines, pourraient partiellement se regorger. Mais des traces se feront dans tous les cas sentir.

Seul point positif dans cette situation, le couple chaleur-sécheresse vient faire reculer la progression du mildiou, un champignon qui parasite une bonne partie des vignes notamment dans l'Ouest.

Mais de manière globale, la production risque d'être réduite, sans qu'il ne soit possible de prédire la hauteur du manque à gagner si tôt dans la saison des vendanges.

"Le goût du vin ne sera pas du tout le même en 2050"

Le dérèglement climatique, qui peut se caractériser par une hausse globale des températures, les exploitants le touchent du doigt au quotidien. "Le premier effet visible du dérèglement, c'est la récurrence de ces événements (dont la sécheresse et la canicule) qui nous touchent", constate le président des Vignerons indépendants.

Le consensus scientifique tend à une accentuation des vagues de chaleur, dont la virulence et la longueur devraient également être renforcées. Pour une activité aussi sensible à la météo et à l'écosystème qui l'entoure, ces changements s'annoncent drastiques.

"Les qualités organoleptiques (qui appellent aux cinq sens, NDLR) vont être modifiées par le dérèglement climatique. Le PH va évoluer, la teneur en alcool va augmenter... Résultat, le goût du vin ne sera plus du tout le même en 2050, ou en 2100", décrypte Serge Zaka.

Plusieurs études menées à travers le monde ont déjà mis en avant le lien entre réchauffement et hausse de la teneur en alcool des produits. Les grains de raisins voient leur niveau d'eau diminuer, la concentration en sucre augmenter, ce qui se traduit en davantage d'éthanol. Pour y faire face, certains pays autorisent les viticulteurs à mettre de l'eau dans leur vin. En France, la pratique est interdite et tient du sacrilège.

Vendangeurs en danger au soleil

Face à ces changements, un vin du Roussillon aura bientôt le goût d'un vin espagnol, tandis qu'un Bordeaux aura plutôt le goût d'un vin du Roussillon. "On aura toujours du vin, mais l'aire de production et les goûts vont changer", pointe-t-il. Voici pourquoi certains groupes comme LVMH investissent dès à présent dans des terres plus au Nord de la France.

Autre option pour contrer les effets du soleil, planter des arbres fruitiers au sein des vignes. Ces arbres, en plus d'abriter les plants du vent qui assèche les fruits, prodigueraient de l'ombre aux raisins fragiles.

Une option qui a aussi l'avantage de protéger les vendangeurs. Ceux qui, à la sueur de leur front, bravent le soleil pour récupérer les précieux grains arrivés à maturité. Pour s'assurer de leur sécurité, en cette période de canicule, certains exploitants arrêtent dès 11h d'arpenter les sillons.

Tom Kerkour