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Ukraine: la tactique balkanique gagnante de Poutine

Des séparatistes pro-russes paradent avec des soldats ukrainiens faits prisonniers, à Donetsk, dans l'Est de l'Ukraine, le 24 août 2014.

Des séparatistes pro-russes paradent avec des soldats ukrainiens faits prisonniers, à Donetsk, dans l'Est de l'Ukraine, le 24 août 2014. - Alexandr Osinskiy - AFP

EDITO - Avec la possible intrusion de troupes militaires russes dans l'Est de l'Ukraine, la crise ukrainienne prend un nouveau tournant. Un scénario digne de la crise des Balkans pourrait s'y jouer. Explications de notre expert en géopolitique, Harold Hyman.

Un vent mauvais souffle sur l'Ukraine orientale, surtout sous l'angle historique. Les séparatistes pro-russes gonflent sans cesse en nombre: des milliers de combattants, aguerris, et bien armés, armés de roquettes Grad, de lance-missiles portatifs RPG, des munitions à foison. L'on constate toujours davantage de véhicules militaires russes entrer depuis la frontière de la mère-patrie, la Russie. En effet, le projet stratégique du Kremlin commence à se révéler: éviter à tout prix que l'Ukraine orientale ne soit reprise par l'armée gouvernementale ukrainienne, en engageant le combat frontal avec cette dernière.

Une infiltration rampante

Côté Moscou, l'on ne paraît même plus étonné des questions à ce sujet. Poutine a parlé de patrouilles frontalières russes égarées dans la nuit, traversant par mégarde la frontière russo-ukrainienne. L'Otan donne clairement le ton pour les Occidentaux: des canons motorisés perfectionnés russes sont disposés au nord de cette Ukraine orientale. Quant à l'attaque russe dans le sud de l'Ukraine orientale, les journalistes le constatent, BBC en tête. Pas de doute, un chat est un chat.

Cette infiltration russe rampante, avec, en avant-garde, des séparatistes locaux, est un classique balkanique: les forces yougoslaves-serbes ont fait cela dans les années 90. Infiltrations de soldats spécialisés émanant de la mère-patrie vers la petite patrie enclavée chez l'ennemi, qui forme sa propre armée séparatiste soutenue massivement par la mère-patrie. Le remake de la Republika Srpska, marionnette de la République de Serbie. Cette Republika Srpska est créée pour les pro-Serbes en pleine Bosnie-Herzégovine en 1992, et elle transforme cette dernière en État ingouvernable jusqu'à ce jour. Voilà le piteux modèle pour une Ukraine soumise. Les diplomates du monde, Laurent Fabius en tête, connaissent très bien la technique.

Vers un recyclage de la recette yougoslave?

Or l'incursion russe est avérée. Pour François Hollande, cependant, ce n'est pas le cas, et il vient de dire à la Conférence des Ambassadeurs de ce 28 août à Paris: "D'un côté la Russie doit respecter la souveraineté de l'Ukraine... S’il était avéré que des soldats russes sont présents sur le sol ukrainien, ce serait bien sûr intolérable et inadmissible." Alors quoi, n'est-ce donc pas avéré?

Et le président de continuer: "De l’autre, les autorités ukrainiennes doivent faire preuve de retenue dans les opérations militaires et décider d’une large décentralisation au bénéfice des régions russophones et écarter toutes provocations." Alors quoi, les forces loyales à Kiev ne sont-elles pas en train de reculer sur tous les fronts? Comment le gouvernement d'Ukraine peut-il proposer de décentraliser -à Moscou on parle de "fédéraliser"- ses régions orientales, désignées à Moscou comme la Nouvelle Russie -Novorossiya? Si ces dernières devenaient "décentralisées" comme on dit à Paris, elles se transformeraient en réalité en autant de "Republika Srpska", c'est-à-dire en entités divorcées du reste du pays, rêvant de rattachement à la mère-patrie. Elles s'appelleraient "Republika Novorossiska" ou quelque chose d'approchant.

Poutine a donc gagné: la France, et ses alliés, vont recycler la bonne vieille recette yougoslave. Sauf qu'elle n'est pas très bonne, et il y a un hic: l'intégrité territoriale de l'Ukraine a été garantie par divers traités signés par la France et surtout par l'Allemagne et les États-Unis. Si l'on impose le ridicule régime de Republika autonome à l'Ukraine orientale, la France et ses alliés se seront diminués diplomatiquement. Ce n'est pas le moment, et cela ne donnera pas de résultats positifs avec la Russie, car Poutine ne respecte guère les faibles. 

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Harold HYMAN