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Quel impact sur Al Qaïda la mort de Ben Laden aura-t-elle ?

Manifestation à Times Square, à New York. La mort d'Oussama ben Laden porte un coup psychologique considérable à Al Qaïda mais sa disparition pourrait n'avoir qu'un impact limité sur la nébuleuse, qui opère de manière de plus en plus décentralisée depuis

Manifestation à Times Square, à New York. La mort d'Oussama ben Laden porte un coup psychologique considérable à Al Qaïda mais sa disparition pourrait n'avoir qu'un impact limité sur la nébuleuse, qui opère de manière de plus en plus décentralisée depuis - -

par Phil Stewart et William Maclean WASHINGTON/LONDRES (Reuters) - La mort d'Oussama ben Laden porte un coup psychologique considérable à Al Qaïda...

par Phil Stewart et William Maclean

WASHINGTON/LONDRES (Reuters) - La mort d'Oussama ben Laden porte un coup psychologique considérable à Al Qaïda mais sa disparition pourrait n'avoir qu'un impact limité sur la nébuleuse, qui opère de manière de plus en plus décentralisée depuis des années.

Près d'une décennie après les attentats du 11 septembre 2001, et le renversement du régime taliban qui l'abritait en Afghanistan, l'organisation s'est fragmentée en un réseau mondial de groupes djihadistes indépendants les uns des autres, et pour lesquels Ben Laden était surtout un symbole d'engagement.

"Pour ce qui est de la conduite des opérations terroristes, Ben Laden n'était plus du tout la figure centrale depuis un certain temps déjà", relève Paul Pillar, ancien haut responsable du renseignement américain.

"La plupart des opérations ont été instiguées depuis la périphérie, et non depuis le centre - et par périphérie, j'entends notamment des groupes comme Al Qaïda dans la péninsule arabique, mais aussi des groupuscules beaucoup plus restreints", ajoute-t-il.

Pour les spécialistes de l'antiterrorisme, les mutations constantes d'Al Qaïda ont rendu la lutte plus ardue qu'au moment des attentats à New York et Washington.

Le coeur névralgique de l'organisation, lui, a été affaibli par les frappes menées depuis des années par des drones américains au Pakistan. Al Qaïda n'a plus été en mesure de mener un attentat réussi sur le sol occidental depuis les attentats de Londres, en juillet 2005, qui avaient fait 52 morts.

LE PRINTEMPS ARABE CONTRE LA DOXA QAEDISTE

Le "printemps arabe" qui a débuté fin 2010 en Tunisie avant de se propager dans d'autres pays de la région a également infligé un revers idéologique au mouvement islamiste.

Dans les rues de Tunis ou du Caire, les manifestants arabes réclamaient la démocratie et les droits de l'homme: des concepts que Ben Laden frappait d'anathèmes, les considérant comme un sacrilège et comme l'expression d'une volonté de placer les désirs des hommes au-dessus de la volonté divine.

Dix ans après le World Trade Center, la principale menace liée à Al Qaïda contre les Etats-Unis se trouve au Yémen, où est basé Al Qaïda dans la péninsule arabique (Aqpa). C'est cette branche qui a revendiqué l'attentat raté contre le vol Amsterdam-Detroit de Noël 2009 et, plus récemment, la tentative d'expédier des colis piégés vers l'Occident.

Pour la France, c'est une autre "filiale" de la nébuleuse qui inquiète: Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui retient notamment quatre Français en otages depuis le raid mené en septembre dernier contre la ville d'Arlit, dans le nord du Niger.

Pour Marc Trévidic, juge antiterroriste français, la mort de Ben Laden marque la fin d'Al Qaïda telle qu'on l'a connue jusqu'ici car il était le seul à fédérer les islamistes du monde entier. Mais il ajoute que le djihadisme international, s'il perd une "capacité d'impulsion", conserve son potentiel violent.

"Tout le monde sait bien que ça ne va pas mettre fin au problème, ça va tout de même avoir un impact sur la capacité d'Al Qaïda de renaître un jour comme vrai état-major de commandement en zone pakistano-afghane", a-t-il dit aux agences de presse.

UN MARTYR OU UN SYMBOLE QUI DISPARAÎT ?

"Je ne pense pas que la mort de Ben Laden ait une réelle portée militaire (ndlr, opérationnelle)", confirme Arturo Munoz, spécialiste des questions de sécurité à la Rand Corporation. "La portée est politique, psychologique, et sur ces deux plans, elle a une portée considérable."

Fawaz Gerges, spécialiste d'Al Qaïda à la London School of Economics, juge lui aussi que la disparition de Ben Laden est une victoire "plus symbolique que concrète" pour les Etats-Unis.

"Sur le plan opérationnel, le commandement et le contrôle (central) d'Al Qaïda a été amputé et ses principaux dirigeants ont été soit arrêtés, soit tués", dit-il.

"Plus important encore, Al Qaïda a perdu la lutte pour les coeurs et les âmes dans le monde arabe et ailleurs, et a du mal à attirer des partisans et des recrues compétentes", ajoute-t-il.

Certains analystes jugent toutefois que la mort de Ben Laden pourrait inspirer ses partisans, qui tiennent désormais en lui un martyr. "En tant que symbole, source d'idéologie, Ben Laden peut continuer à jouer un rôle par-delà sa mort", souligne Paul Pillar.

Fawaz Gerges pense pour sa part qu'il "faudra un miracle" pour qu'Al Qaïda surmonte les conséquences idéologiques et opérationnelles de sa disparition.

"C'est un développement négatif pour Al Qaïda et les mouvements djihadistes", confirme Thomas Hegghammer, spécialiste norvégien de la mouvance islamiste à la Defence Research Establishment. "Ben Laden était un symbole de la longévité d'Al Qaïda et du défi lancé à l'Occident. Aujourd'hui, ce symbole a disparu."

Avec Thierry Lévêque à Paris, Henri-Pierre André pour le service français, édité par Bertrand Boucey