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Qu’est-ce que la Francophonie sans l'Afrique?

Michaëlle Jean est la nouvelle secrétaire générale de la Francophonie - © Thony Belizaire - AFP

Michaëlle Jean est la nouvelle secrétaire générale de la Francophonie - © Thony Belizaire - AFP - -

La nomination de Michaëlle Jean à la tête de l’Organisation Internationale de la Francophonie est un changement majeur: une femme politiquement correct, venue du Canada où le multiculturalisme est un art, n’a pas le doigté africain. Elle aura à inventer quelque chose de nouveau, sans décevoir les Africains. 

C’était presque couru d’avance: la candidate canadienne devait gagner. Michelle Jean a une légitimité très forte en matière de représentation. D’ailleurs son passé de Gouverneure générale du Canada (2005-2010) en est une espèce d’apogée. Elle est le symbole parfait de l’adaptation multiculturelle de style occidental et très peu anglo-saxon. Au Canada cela se comprend facilement: mariée à un cinéaste français naturalisé canadien, elle fraye dans les eaux de l’indépendantisme québécois bon teint. La francophonie québécoise comme un genre de progressisme politique et social, très semblable à celui du PS français actuel.

Le droit des femmes, de l’enfant, les vertus de la culture, du dialogue, l’esprit ONU, bref tout était parfait. Et noire, au Canada qui est un pays très peu noir, elle succède à un Gouverneur général (ou Gouverneure générale en l’occurence) chinoise née en Chine! Les deux femmes étaient journalistes. On ne peut être plus multiculturel que le Canada, à en juger d’après le poste de Gouverneur général. Ou plus exactement, on ne pouvait être davantage progressiste, car tous les gouvernements qui ont nommé les deux femmes étaient "libérales", du nom du parti au pouvoir, le parti de Pierre Elliott Trudeau, le Canadien le plus célèbre du 20e siècle et grand partisan du multiculturalisme. Ceci a cependant changé lors de l’arrivée au pouvoir des conservateurs de Stephen Harper: un juriste anti-indépendantiste québécois, et passablement conservateur, pris la suite. Comme pour effacer une boulimie de politiquement correct.

Une canado-haïtienne loin de la Françafrique, et loin de l'Afrique tout court

Lors du terrible séisme en Haïti en 2010, Michaëlle Jean se rendit dans son pays d’origine, dévasté, et eut l’occasion de s’exprimer publiquement en créole. Une fois quittée le poste de Gouverneur général, elle lança une fondation (Fondation Michaëlle Jean) portée sur la promotion de la culture. Quelques millions de dollars lui furent attribuées dès son premier jour. Puis elle s’orienta vers la Francophonie, occupant quelques charges ponctuelles. Bref, elle avait tout pour réussir. La division chez les Africains lui permit de se faufiler, elle qui n’est pas africaine.

Les candidats africains étaient d’ailleurs intéressants, et j’en ai rencontré longuement trois d’entre eux. Un Mauritien, Jean-Claude de l’Estrac, ancien ministre de l’Industrie, a maintes fois expliqué comment les Mauritiens, d’anglophiles, sont devenus francophiles: Margaret Thatcher avait réduit les bourses, et les Mauritiens trouvèrent des bourses généreusement distribuées par le gouvernement français. Le candidat de Guinée Équatoriale, Nzé Nfumu, ancien ministre de la Culture, a plaidé le cas de son pays qui s’est orienté vers l’usage d’une autre langue que celle du colonisateur espagnol, afin de mieux s’intégrer dans l’environnement local. Le candidat du Congo-Brazzaville, Henri Lopes, homme de culture, avait surtout son long passé d’ambassadeur congolais à Paris comme programme; c’est le seul qui aurait pu s’être frotté à la Françafrique, mais il n’est pas connu pour cela. Les autres candidatures étaient furtives, dont celles de Bertrand Delanoë et de Jacques Lang. Michaëlle Jean aura une capacité de ne pas trop hérisser le poil des anglophones du monde, si tant est qu’ils remarquent l’existence de la Francophonie. Mais réussira-t-elle à séduire les Africains?