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Patrons et politiques, un divorce au sommet

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par Jean-Michel Belot PARIS (Reuters) - Ils sont souvent sortis des mêmes écoles, fréquentent régulièrement les mêmes cercles, partagent les mêmes...

par Jean-Michel Belot

PARIS (Reuters) - Ils sont souvent sortis des mêmes écoles, fréquentent régulièrement les mêmes cercles, partagent les mêmes codes sociaux, et pourtant le divorce semble consommé entre les grands patrons du CAC 40 et les hommes politiques français.

La crise financière qui a conduit la classe politique à en rejeter la responsabilité sur les banquiers, ainsi que la campagne présidentielle où les candidats ont souvent épinglé les bonus des PDG, ont un peu plus creusé le fossé entre deux mondes dont les horizons et les préoccupations divergent.

Au-delà de l'habituelle fracture en France entre la gauche et l'entreprise, cette rupture teintée d'incompréhension puise une de ses sources dans la globalisation, qui a poussé les grandes entreprises à délaisser les sentiers balisés du marché français.

Lancées à la conquête de l'Asie, dont les rythmes de croissance échevelés agissent comme une drogue dure dont il est difficile de décrocher, la France ressemble aujourd'hui à un confetti parmi d'autres dans l'empire des sociétés du CAC 40, majoritairement détenues par des investisseurs étrangers.

L'installation, l'été dernier à Hong Kong, du président du directoire de Schneider Electric a de ce point de vue frappé les esprits. La France ne représente aujourd'hui que 10% de l'activité du leader mondial des équipements électriques basse et moyenne tension et Jean-Pascal Tricoire passe désormais la moitié de son temps en Asie.

Sur la planète politique, avec l'accélération des rythmes électoraux liée à la réforme du quinquennat, la classe politique et le président Nicolas Sarkozy semblent succomber plus facilement aux sirènes des sondages et de la communication politique, au risque de naviguer à vue, de céder à la démagogie et de perdre le goût pour l'action de l'Etat dans la durée.

"Quelle est la vision du monde des politiques ? C'est celle de la responsabilité qu'ils ont vis-à-vis de leurs électeurs, c'est donc une dimension nationale, voire locale", observe Philippe Camus, président du groupe de télécommunications Alcatel-Lucent

RECRÉER LE DIALOGUE AVEC LES CHAMPIONS DU CAC

"L'espace pour eux est la circonscription ou la nation alors que pour les chefs d'entreprise, même des petites, la dimension pertinente c'est le marché, la compétition, donc un niveau très international", déclare-t-il à Reuters pour expliquer ce divorce.

Dans son ouvrage "La France doit choisir", paru au début de l'année, l'ancien PDG du groupe Saint-Gobain Jean-Louis Beffa souligne également les effets de la mondialisation sur la relation entre de grandes entreprises françaises et l'Etat.

La rupture est selon lui consommée avec les groupes "multirégionaux", qui ont pour principale caractéristique de produire localement sur leurs marchés internationaux - en Chine pour le marché chinois, au Brésil pour le marché brésilien - bref, de ne pas contribuer à rééquilibrer la balance commerciale française.

Du point de vue des politiques, l'entreprise multirégionale n'apporte ainsi ni emploi, ni croissance à partir de France et, du point de vue de cette entreprise, la France ne représente qu'une partie minime de son activité, ce qui est le cas, outre Schneider Electric, d'autres grands groupes comme Air liquide, Saint-Gobain ou Lafarge, par exemple.

"La raison du divorce entre les hommes politiques et les chefs d'entreprise n'est pas d'ordre idéologique ou politique. Ce sont des raisons mécaniques découlant de l'influence de la mondialisation à la fois sur le pays et sur l'entreprise", déclarait récemment Jean-Louis Beffa lors d'un entretien à Reuters.

Selon lui, la première action du futur président en matière de politique industrielle devrait être ainsi de recréer un dialogue avec les "champions multirégionaux" pour qu'ils se réintéressent à la France.

Ce message semble avoir été entendu par François Hollande, qui a récemment invité les patrons du CAC 40, s'il est élu, à une réunion pour travailler avec eux au redressement de la France. Même si, notait lucidement le candidat socialiste, "beaucoup de leurs dirigeants n'auront pas voté pour moi".

Quel que soit le vainqueur de l'élection, "il faudrait des incitations fiscales, des aides à la Recherche & Développement, pour que ces entreprises acceptent comme le fait l'industrie allemande de développer de nouveaux métiers exportateurs à partir du sol français, même si ce n'est pas leur tendance naturelle", estime Jean-Louis Beffa.

LA GESTION DE LA FRANCE, UNE "ASSEMBLÉE DE COPROPRIÉTAIRES"

Au-delà de ces divergences "mécaniques", l'indifférence croissante de ces grands patrons vis-à-vis de la classe politique, qui confine parfois à une forme de condescendance, voire de mépris, a été récemment alimentée par les nombreuses attaques dont on fait l'objet les PDG sur leur rémunération.

Souvent encensé pour sa réussite chez Publicis, Maurice Lévy en a fait récemment les frais à l'occasion de la publication de sa rémunération de 16 millions d'euros perçue au titre des neuf dernières années à la tête du géant mondial de la publicité.

"Le temps de l'entreprise n'est pas celui de la politique. Aujourd'hui on condamne, on vilipende, mais on ne cherche pas à analyser ou à comprendre", s'est défendu le PDG du géant mondial de la publicité, y voyant un signe de la méconnaissance du monde de l'entreprise par les hommes politiques.

"Les patrons reprochent aux politiques de ne pas prendre en compte la réalité du monde dans lequel ils vivent et d'encourager la démagogie plutôt que l'effort", observe de son côté un fin connaisseur des milieux patronaux, qui a requis l'anonymat.

Beaucoup de chefs d'entreprise refusent également de recevoir des leçons de la part d'hommes politiques incapables de contrôler les déficits publics et, selon eux, de prendre de la hauteur pour porter un projet économique sur le long terme. Ils supportent également difficilement de voir le président de la République, quel qu'il soit, tirer la couverture à lui lors de la signature à l'étranger de contrats qu'ils ont durement négociés.

"Parfois, on a l'impression d'être à une assemblée de copropriétaires ! Les politiques nous font de la gestion fiscale et sociale, sans stratégie ni vision pour le futur. C'est comme si nous pilotions nos entreprises uniquement avec nos directeurs financiers et des ressources humaines", s'insurge Pierre Gattaz, président du groupe Radiall et du Groupe des fédérations industrielles (GFI).

Autre facteur, et non des moindres, les meilleurs hauts fonctionnaires succombent souvent aux sirènes de l'entreprise où les perspectives de carrière et de rémunération sont plus attractives, asséchant ainsi le réservoir de talents de l'administration.

Dans son livre "Non aux 30 douloureuses", l'ancien directeur de la Caisse des dépôts Augustin de Romanet estime que l'Etat est un bien mauvais "manager", et qu'une revalorisation de la haute fonction publique est indispensable pour inspirer le respect et pour que l'action publique retrouve sa légitimité face aux entreprises et aux citoyens.

"L'Etat le plus performant au monde dans le management est celui de Singapour qui rémunère ses ministres comme des associés du cabinet de consultants McKinsey. Résultat : il y a des ministres de la qualité des associés de McKinsey", confiait récemment Augustin de Romanet à Reuters.

Avec la contribution de Matthieu Protard, édité par Dominique Rodriguez