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Syrie

"Maman, sauve-moi": une mère raconte le quotidien glaçant de sa fille bloquée à Raqqa, en Syrie

Un combattant de la force arabo-kurde à Dariya, dans les alentours de Raqqa, le 27 juin 2017.

Un combattant de la force arabo-kurde à Dariya, dans les alentours de Raqqa, le 27 juin 2017. - Delil Souleiman - AFP

Bloquée à Raqqa avec son fils, une jeune Syrienne envoie depuis plusieurs mois des messages de détresse à sa mère, réfugiée aux Pays-Bas. La chaîne CNN a retranscrit leurs échanges sur WhatsApp, qui témoignent de la situation sur place.

Le témoignage d'une mère vivant chaque jour dans l'angoisse. La chaîne américaine CNN a pu recueillir le récit de Wafa, une Syrienne réfugiée à Haarlem, aux Pays-Bas, dont la fille Maha est restée à Raqqa, le fief de Daesh en Syrie, et où les jihadistes affrontent actuellement une force composée de combattants kurdes et arabes, soutenue par la coalition internationale. 

Prise au piège à Raqqa

Maha, 23 ans, est mère d'un petit garçon de deux ans, Odai, qui vit avec elle dans cette ville contrôlée par Daesh. Son seul moyen de communication avec sa mère est la messagerie instantanée WhatsApp, qui est aussi le seul moyen pour Wafa de s'assurer que sa fille est toujours vivante.

Chaque jour, elle scrute l'écran de la messagerie, dans l'attente du fameux symbole "double-check" bleu, signe que son message est bien arrivé sur le téléphone de Maha, et donc que celle-ci est encore en vie. "Quand je n'entends rien, quand il n'y a pas de nouvelles, c'est comme si quelque chose à l'intérieur de moi était en train de mourir", raconte Wafa.

Agée de 40 ans, cette Syrienne est arrivée aux Pays-Bas en 2014, après avoir fui Raqqa. Elle avait supplié sa fille de la suivre. Mais celle-ci avait préféré rester sur place, avec son mari et son fils, promettant de rejoindre sa mère plus tard. Le destin en a décidé autrement: la police religieuse mise en place par Daesh a décapité son époux, après avoir retrouvé sur son téléphone un message adressé à un soldat du régime syrien.

L'enfer du quotidien

La bataille décisive qui se joue actuellement à Raqqa, encerclée par la coalition, rend impossible toute perspective de fuite, et le quotidien dans la ville est extrêmement risqué. Un quotidien que Maha raconte à sa mère par le biais de messages vocaux envoyés sur WhatsApp, et que Wafa a partagés avec CNN, pour montrer l'angoisse de la vie sur place. Ses messages traduisent l'enfer que vit la jeune femme, qui n'a qu'une obsession: quitter Raqqa avec son enfant. La chaîne de télévision en a retranscrit quelques-uns, qui témoignent du cri de détresse envoyé par Maha. 

"Maman, Odai est tombé malade en buvant de l'eau contaminée, on a réussi à aller aux urgences, le docteur m'a dit que c'est extrêmement important pour lui de boire de l'eau propre, mais c'est difficile d'en trouver ici. Maman, je suis désespérée, je ne sais pas quoi faire. Je te jure, je ne sais pas", a écrit Maha le 4 janvier dernier.

"Maman, je suis épuisée et la situation est horrible, je ne peux plus supporter cette vie, mon fils est malade et il n'y a pas de médicaments ou d'eau propre pour mon enfant. Hier c'était très dur de trouver du lait", déplorait-elle le 10 janvier.

"Salut maman, s'il te plaît dis-moi comment tu vas, j'espère que tu vas bien, c'est très dur de se connecter à Internet", écrivait Maha le 2 février, après plusieurs semaines de silence. "Ma chérie, essaye de partir, essaye de partir, essaye d'aller dans un autre village, pour attendre une solution qui t'emmènera en Turquie", lui conseillait alors sa mère, impuissante. 

Des semaines sans nouvelles

Après plus d'un mois sans nouvelles, Maha a lancé un cri de désespoir à sa mère, le 10 mars. "Maman, tu m'as promis de me sortir de cet enfer. Maman, je fais des cauchemars, je rêve qu'ils viennent me chercher pour me tuer. Après avoir envoyé un message, j'ai tout effacé parce que j'ai eu peur. Je les vois partout maintenant (les combattants de Daesh, NDLR). Je suis tellement épuisée par cette vie". "Je ferai l'impossible pour te sortir de là", lui répond alors Wafa. 

Entre le 31 mars et le 23 mai, Wafa n'a eu aucune nouvelle de sa fille. Avant de recevoir ce jour-là un nouveau message désespéré: "Maman, réponds-moi, pourquoi tu ne me réponds pas? Nous avons déménagé dans un autre endroit aujourd'hui, je ne sais pas quand je serai capable de me connecter à nouveau, les combattants de Daesh sont partout, j'ai peur de ne pas pouvoir me reconnecter. Je suis effrayée, et Odai est épuisé". "Nous sommes épuisés. J'ai peur de finir par me suicider", lançait Maha, la voix entrecoupée par les larmes, le 1er juin.

"Maman, sauve-moi de cette situation. Sauve-moi, sauve-moi. Nous vivons en enfer, en enfer. Mon fils est en train de mourir à côté de moi. Sauve-moi, sauve-moi. Si tu m'aimais tu me sauverais", implorait-elle le 16 juin, avant de demander à sa mère de "tout essayer" pour la sortir de là. Impuissante, Wafa lui assurait alors avoir parlé de la situation à tout le monde aux Pays-Bas, "les médias, le docteur, et les services d'immigration", tout en lui demandait d'être patiente.

En ce début du mois de juillet, alors que la bataille de Raqqa se poursuit inlassablement et que les jihadistes reculent très lentement, Maha est toujours coincée sur place avec son fils, et continue à envoyer des messages à sa mère. Ce mardi, l'armée américaine a annoncé que les combattants de la force arabo-kurde soutenue par la coalition avaient réussi à pénétrer dans la vieille ville, tenue par les jihadistes

Adrienne Sigel