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Moyen-Orient

Mondial 2022 au Qatar: Vinci accusé de travail forcé

L'association Sherpa dénonce les conditions de travail imposées aux ouvriers migrants employés par Vinci au Qatar, dans le cadre des contrats colossaux décrochés pour les chantiers lancés pour accueillir la Coupe du monde 2022 de football. Une plainte pour "travail forcé" a été déposée ce lundi. Nos équipes ont pu se rendre sur place.

La future Coupe du monde de football au Qatar, qui ne doit avoir lieu qu'en 2022, n'a de cesse de faire polémique. Et pour la première fois, une grande entreprise française se trouve directement concernée: dénonçant du "travail forcé" et de "l'exploitation" pour ses très nombreux travailleurs migrants, l'association de juristes et d'avocats "Sherpa" attaque en justice le géant du BTP Vinci. Un groupe très implanté au Qatar, après avoir décroché sept contrats pour une valeur totale de plus de 5,4 milliards d'euros sur les chantiers pharaoniques entrepris par l'émirat. Des accusations contre lesquelles l'entreprise française a d'ores et déjà annoncé son intention de porter plainte pour diffamation. Explications.

Une imposante main d'oeuvre issue de l'émigration

Pour réaliser son incroyable projet à 200 milliards de dollars (182,6 milliards d'euros), le pays le plus riche du monde a besoin d'une main d'oeuvre conséquente, issue dans sa quasi-totalité de l'émigration. Selon Sherpa, ils seraient actuellement près de 1,2 million de travailleurs à construire les sites de la future Coupe du monde, sur une population totale de 1,7 million. Un nombre qui pourrait quasiment doubler dans les années à venir. Problème: les conditions dans lesquelles ils officient ont, à de plusieurs reprises, été qualifiées de déplorables et inhumaines, notamment par Amnesty International en 2013. D'aucuns ont même évoqué de l'esclavagisme.

Ce terrible constat, l'association Sherpa a pu également le dresser. Mais ce qu'elle dénonce au travers d'une plainte déposée ce lundi, c'est le rôle joué par le groupe français Vinci. Obligation étant faite à toute entreprise étrangère de s'associer avec des sociétés qataries si elle souhaite faire affaire dans l'émirat, le groupe de BTP a créé sur place la Qatari Diar Vinci Construction (QDVC), détenue à 49% par les dirigeants français.

L'association a pu rencontrer anonymement des ouvriers migrants employés pour les besoins d'un sous-traitant de QDVC. Les informations qu'elle rapporte font froid dans le dos: 

Les travailleurs "sont contraints à des tâches souvent dangereuses, onze heures par jour, avec une heure de pause déjeuner, six jours par semaine, avec un jour de repos le vendredi", détaille Sherpa.

Le salaire, lui, est misérable: pour près de 66 heures de travail par semaine, un employé touche 700 riyals par mois. L'équivalent de 150 euros.

"Huit par chambre"

Les équipes de BFMTV ont également pu se rendre sur place. Par peur de perdre leur emploi, les employés de QDVC rencontrés par nos équipes sont évidemment restés anonymes. C'est le cas de Bikash*, un ouvrier népalais, qui déplore les conditions de logement. "La nourriture que l'on nous donne n'est pas bonne", se plaint-il. "On est jusqu'à huit dans les chambres, il n'y a pas d'espace et on n'a pas d'équipement", poursuit-il. "On se douche et on lave nos habits au même endroit." 

Ces logements en question, nos équipes ont pu en obtenir un aperçu. On peut y voir six lits superposés dans une même chambre. Illégal, selon la loi locale. Mais ce n'est pas la seule chose que déplore le Népalais: blessé à plusieurs reprises, après s'être notamment cassé une jambe, il affirme ne jamais avoir été indemnisé.

Mohammed, obligé de donner son passeport à la société

Mohammed, de son côté, pointe le doigt contre la kalafa qatarie, connue aussi sous le nom de "sponsor". Un processus qui oblige l'ouvrier à remettre ses papiers à son entreprise, limitant grandement sa liberté de mouvement. "Je n'ai pas mon passeport, je l'ai remis à la société", témoigne-t-il. "Quand j’ai besoin de partir, pour des raisons urgentes ou pour m’occuper de ma famille, je dois leur écrire une lettre et ils me rendent mon passeport."

Ainsi, l'association Sherpa considère que l'entreprise française, en imposant de telles conditions de travail et en profitant du système de kafala, "se rend coupable de travail forcé et même de réduction en servitude". Des accusations dénoncées par les responsables de l’entreprise.

"Les ONG qui émettent des jugements, nous les invitons à venir voir nos camps", répondent-ils sur notre antenne.

"On coopère pour améliorer la vie quotidienne de nos salariés. On procède à des audits réguliers de nos sous-traitants. Nous avons une politique stricte de terminaison des contrats quand ils ne respectent pas les critères que nous nous appliquons à nos employés", a-t-il encore été précisé.

Depuis 2002, près de 1.200 ouvriers seraient morts au Qatar lors d'accidents de construction, de crises cardiaques, ou de maladies contractées du fait de leurs conditions de vie.

*Pour préserver l'anonymat de nos témoins, les noms ont été volontairement changés.

Jérémy Maccaud. Reportage: Guillaume Couderc & Quentin Baulier.