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Moyen-Orient

Les opposants syriens seuls face à leur destin

Bâtiments en ruines dans une rue de Homs, en Syrie, où les combats s'intensifient alors que la diplomatie est dans l'impasse. La France ne ménage pas ses efforts pour rechercher une solution politique à la crise syrienne mais le conflit s'enlise et les op

Bâtiments en ruines dans une rue de Homs, en Syrie, où les combats s'intensifient alors que la diplomatie est dans l'impasse. La France ne ménage pas ses efforts pour rechercher une solution politique à la crise syrienne mais le conflit s'enlise et les op - -

par Patrick Vignal PARIS (Reuters) - La France ne ménage pas ses efforts pour rechercher une solution politique à la crise syrienne mais le conflit...

par Patrick Vignal

PARIS (Reuters) - La France ne ménage pas ses efforts pour rechercher une solution politique à la crise syrienne mais le conflit s'enlise et les opposants se sentent bien seuls dans une lutte dont ils ont peu de chances de sortir vainqueurs.

La diplomatie est dans une impasse, les combats s'intensifient sur le terrain et la plupart des observateurs s'accordent à exclure un scénario à la libyenne avec une intervention militaire extérieure.

Le risque de déflagration régionale est pourtant bien réel, comme vient de le rappeler la destruction d'un appareil de l'armée de l'air turque par les forces syriennes.

En réclamant la mise en oeuvre de tous les moyens pour imposer le plan de paix de l'émissaire de l'Onu Kofi Annan, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a voulu faire preuve de fermeté.

Mais convaincre ses alliés d'opter pour le recours à la force, comme avait su le faire Nicolas Sarkozy pour la Libye, s'apparenterait à une mission quasi impossible pour François Hollande, qui a dit ne pas exclure une intervention armée à condition qu'elle soit décidée dans un cadre international.

"Quel que soit l'humanisme de Hollande ou de Fabius, je ne crois pas du tout à une intervention en Syrie", confie ainsi à Reuters un ancien haut responsable militaire français.

"La résistance militaire y serait beaucoup plus forte qu'en Libye et on ne peut pas y arriver sans l'aide de la puissance de feu américaine. Or je ne vois pas du tout Barack Obama s'embarquer là-dedans alors qu'une élection difficile l'attend".

Un diplomate britannique de haut rang se montre catégorique.

"Je peux vous garantir une chose : il n'y aura pas d'intervention militaire en Syrie", dit-il.

GUERRE CIVILE

Certains pensent qu'il faut y aller quand même, comme le philosophe Bernard-Henri Lévy, qui fut le héraut de la cause libyenne et plaide maintenant avec éloquence pour une intervention en Syrie.

"S'il faut intervenir en Syrie ? Cela ne fait pas le moindre doute", affirme-t-il à Reuters. "Cette longue non intervention, ces morts qui s'ajoutent aux morts dans l'indifférence quasi générale, cela restera la honte de notre époque, une tache sur notre génération, une faute inexpiable."

La situation, plus délicate qu'en Libye, invite cependant à tempérer la fougue du médiatique philosophe.

La Syrie, pays de plus de 30 millions d'habitants, dispose d'une armée performante et organisée. La complexité ethnique, culturelle et religieuse qui la caractérise ajoute à la difficulté d'une intervention militaire qui, selon l'amiral Edouard Guillaud, chef d'état-major des armées françaises, nécessiterait le déploiement de 100.000 hommes.

Paris insiste toujours sur la priorité d'une solution négociée mais celle-ci bute sur l'opposition répétée de la Russie comme de la Chine à toute résolution contraignante des Nations unies prévoyant l'usage de la force.

La Russie, qui fournit des armes à la Libye, est motivée par la nostalgie de sa zone d'influence et le souci de maintenir sa puissance militaire. Quant à la Chine, elle tient à conserver avec Moscou des relations militaro-industrielles et à s'affirmer comme un partenaire majeur sur la scène internationale, notamment au Proche-Orient.

Ces deux pays ont en outre mal digéré l'affaire libyenne et estiment avoir été dupés en acceptant une opération utilisée selon eux pour éliminer Mouammar Kadhafi, en violation des termes de la résolution de l'Onu.

"On leur a tordu le bras sur la Libye, on ne les y reprendra pas deux fois", dit à Reuters une source militaire française.

La donne a par ailleurs évolué sur le terrain, d'une insurrection réprimée par la violence à une véritable guerre civile, terme désormais employé par l'Onu comme par la France pour qualifier un conflit qui a fait plus de 15.000 morts en 15 mois, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme.

MOYENS MILITAIRES

Le plan Annan, qui exige du régime un désengagement militaire des centres urbains et l'établissement d'un dialogue politique avec l'opposition, prévoit la mise en oeuvre d'un cessez-le-feu, entré en vigueur officiellement le 12 avril mais jamais respecté.

Dans les faits, le plan Annan bat de l'aile, ce qui a conduit Laurent Fabius à évoquer le 13 juin la nécessité, pour l'imposer, d'une résolution sous chapitre VII, c'est-à-dire autorisant "tous les moyens nécessaires", y compris militaires.

Conscient des obstacles à une telle résolution, Paris envisage une autre option qui consisterait à voir les opposants syriens triompher sur le terrain. Pas simple, d'autant moins que cette opposition est hétéroclite et divisée.

La France n'en privilégie pas moins la piste d'"une victoire claire et nette de l'opposition sur le terrain", selon les mots de Laurent Fabius, et devrait lui renouveler son soutien lors d'une réunion du groupe des "Amis de la Syrie" prévue le 6 juillet à Paris.

LA RUSSIE DÉTIENT LA CLÉ

Les opposants peuvent compter en outre sur les armes qu'ont promis de lui livrer le Qatar et l'Arabie saoudite mais cela risque de ne pas suffire.

"Je ne crois pas du tout à une victoire militaire de l'opposition", déclare Denis Bauchard, un ancien haut diplomate français, grand spécialiste du monde arabe.

"Les rebelles sont plus ou moins coordonnés, pas du tout expérimentés, font le coup de feu comme ça et en face, vous avez une force répressive de 30 à 40.000 hommes sans état d'âme", dit-il à Reuters.

Malgré des signes de délitement, comme l'annonce, lundi par les médias turcs, de la défection de plusieurs haut gradés dont un général, le pouvoir, fermement détenu par le clan Assad, appartenant à la minorité alaouite, est encore bien en place, estime l'ancien diplomate.

Bachar al Assad, cependant, est allé trop loin pour pouvoir espérer rétablir l'ordre ancien, même si les minorités religieuses, notamment les chrétiens, le soutiennent encore, par crainte de l'émergence d'un régime islamiste, ajoute-t-il.

Seule solution pour Denis Bauchard : voir la Russie convaincre l'homme fort de Damas de s'effacer en lui offrant une sortie honorable.

"La seule voie sérieuse, et il semble qu'il y ait quelques frémissements, c'est que les Russes acceptent de jouer le jeu d'une transition progressive vers un régime qui accueillerait quelques éléments de l'opposition", dit-il.

Une telle transition, à la yéménite, nécessiterait l'émergence dans cette opposition d'une grande figure, de préférence sunnite puisque cette communauté représente 60% de la population. Un homme providentiel introuvable pour l'instant.

Pour Denis Bauchard, un processus démocratique avec des élections libres, auquel il ne croit guère dans un avenir proche, conduirait immanquablement à une arrivée au pouvoir des Frères musulmans syriens, à l'image de ce qui vient de se produire en Egypte.

Le scénario le plus probable esquissé par l'ancien diplomate n'est pas le plus réjouissant puisqu'il évoque un risque de "somalisation", de fragmentation du territoire dont des pans entiers échapperaient au contrôle de Damas.

La Syrie rejoindrait ainsi la liste des "Etats faillis" et le printemps arabe, dont les promesses s'évanouissent un peu partout, perdrait un autre de ses bourgeons.

Avec Emmanuel Jarry et John Irish, édité par Yves Clarisse