BFMTV
Moyen-Orient

L'ex-épouse du leader de Daesh: "C'était un père de famille normal"

Abu Bakr al-Baghdadi dans une vidéo de propagande de l'État islamique diffusée le 5 juillet 2014.

Abu Bakr al-Baghdadi dans une vidéo de propagande de l'État islamique diffusée le 5 juillet 2014. - Al-Furqan Media - AFP

En 2008, Saja al-Doulaimi se remariait avec un universitaire de Bagdad, avant de le quitter trois mois plus tard. Aujourd'hui, cet homme se fait appeler Abou Bakr al-Baghdadi. C'est le fondateur de Daesh, l'autoproclamé Etat islamique.

Elle n'avait jusqu'à présent jamais raconté son histoire aux journalistes. Saja al-Doulaimi s'est confiée dans un entretien au quotidien suédois Expressen, filmé au Liban et publié jeudi. En 2008, la jeune femme a épousé celui qui prendra plus tard le nom d'Abou Bakr al-Baghdadi, et donnera naissance à l'Etat islamique. Un homme dont la tête est mise à prix pour 10 millions de dollars par les États-Unis.

Un universitaire sans histoires

À l'époque, Saja al-Doulaimi vit à Bagdad et vient de perdre son premier époux, avec lequel elle a eu des jumeaux. Cet ancien garde du corps de Saddam Hussein avait rejoint, après la chute du régime, un groupe de combat contre la présence américaine en Irak. Un de ses proches signale alors au père de Saja qu'il connaît un homme souhaitant épouser une veuve.

Expressen explique qu'il s'agit d'une tradition dans certaines communautés musulmanes d'Irak. Des hommes épousent des veuves en secondes noces, afin de s'occuper de leurs enfants, une bonne action qui sera récompensée après leur mort. Saja emménage donc avec ses fils dans l'appartement de la famille de son nouveau mari, qui porte à l'époque le nom d'Hisham Mohammad.

Selon elle, à ce moment-là, son époux n'a rien du chef jihadiste qu'il deviendra deux ans plus tard. Alors que des membres de sa propre famille, y compris son frère, prennent les armes contre les Américains, son mari passe ses journées à l'université, où il enseigne la religion et la charia. "C'était un père de famille normal", explique la jeune femme. "Qu'il soit devenu l''émir' de la plus dangereuse organisation terroriste du monde est un mystère pour moi".

Arrêtée à plusieurs reprises

Saja affirme qu'al-Baghdadi s'occupait très bien des enfants. "Il les aimait beaucoup", se remémore-t-elle. "Il était leur idole. À cet égard, c'était une très bonne personne". Vis-à-vis de ses femmes, en revanche, c'est une autre histoire. Il n'a que peu de conversation, se contentant de donner des ordres sur la tenue du foyer. "Je n'étais pas heureuse", explique Saja. "C'était injuste envers sa première épouse. C'est pour ça que je suis partie".

Trois mois après son mariage, alors qu'elle ne sait pas encore qu'elle est enceinte d'une petite fille, Saja al-Doulaimi quitte le domicile et retourne dans la famille de son ex-mari. "Oui, on peut dire que j'ai fui [al-Baghdadi]", reconnaît-elle, ajoutant qu'elle n'a jamais été amoureuse de lui. Après la naissance de leur fille, al-Baghdadi lui demande de revenir, elle refuse. Leur dernière conversation date de 2009.

À l'été 2013, Saja tente de rendre visite à sa famille, qui a déménagé à Damas. Elle est arrêtée à la frontière par les forces du régime, qui recherchent son père, et est emprisonnée pendant six mois. À sa libération, elle fuit vers le Liban, où elle est de nouveau arrêtée. Mais cette fois-ci, c'est après al-Baghdadi qu'ils en ont. "Ils m'ont montré des photos de mon ex-mari et m'ont demandé si je le reconnaissais", se rappelle la jeune femme. "Ça a été un choc de découvrir - sept ans plus tard - que j'avais été mariée à l'homme le plus dangereux du monde".

Voyager en Occident

Aujourd'hui, Saja est remariée, et a eu un quatrième enfant. Toute la famille vit à Beyrouth, au Liban. La jeune femme, aujourd'hui âgée de 28 ans, a coupé les ponts avec l'Irak et la Syrie, et condamne vivement les actions de Daesh, qualifiant son ex-mari de "leader terroriste". Pour elle, les attentats de Bruxelles ne sont que "meurtre, sang et brutalité."

La jeune femme souhaiterait d'ailleurs voyager en Occident, ne pas rester dans le monde arabe. "Je veux vivre libre", affirme Saja, qui vante les vertus de la charia, la loi islamique, gage selon elle de "liberté et de droits pour les femmes". Elle réclame surtout qu'elle, ainsi que la fille qu'elle a eu d'al-Baghdadi, ne soient pas tenues pour responsables des exactions de son ex-mari.

"Où est ma responsabilité? J'étais mariée avec lui en 2008", se défend la jeune femme. "Nous sommes divorcés aujourd'hui. C'est moi qui l'ai quitté". Saja cite un verset du Coran: "Aucune âme chargée de péchés ne portera le fardeau d'autrui".

Hélène Millard