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Iran

"Les Iraniens ont refusé la bunkerisation de leur pays"

Le nouveau président iranien Hassan Rohani

Le nouveau président iranien Hassan Rohani - -

Bernard Hourcade, chercheur émérite au CNRS et spécialiste du pays, analyse pour BFMTV.com la victoire dès le premier tour de la présidentielle d'Hassan Rohani.

Le modéré Hassan Rohani a remporté samedi l'élection présidentielle iranienne. Pour autant faut-il attendre de profonds bouleversements? L'Iran subit de très lourdes sanctions internationales en réponse à la politique nucléaire menée par le sortant conservateur Mahmoud Ahmadinejad durant son second mandat.

Bernard Hourcade, chercheur émérite au CNRS et spécialiste de l'Iran, estime que ce scrutin témoigne d'une prise de conscience du peuple de la situation du pays et prédit que le nouveau président devrait travailler, en bonne intelligence avec le Guide suprême, dans le sens d'une normalisation des rapports avec la communauté internationale.

Hassan Rohani a été élu dès le premier tour avec près de 51% des suffrages, cela constitue-t-il une surprise?

C’est une surprise, comme toutes les élections iraniennes en ont réservées. Le maire conservateur de Téhéran notamment, Mohamad Ghalibaf était attendu au second tour face à Hassan Rohani. En Iran même si les occidentaux l’ont cru endormie depuis la dernière présidentielle de 2009, la dynamique de mouvement reste très forte.

Cette élection montre un rejet de la bunkerisation de l’Iran, elle montre que l’isolement fait peur. Ainsi Saïd Jalili, candidat de l’aile dure du pays qui prône une implication forte en Syrie et qui prétend que les sanctions économiques sont favorables au pays, a été balayé.

Hassan Rohani est présenté en Occident comme un politique modéré, qu’est-ce que cela signifie en Iran?

C’est un modéré au sens où il est parvenu à faire consensus. Si modéré ne correspond pas, il faudrait le qualifier de centriste. Il a réussi à allier le petit peuple déçu par le sortant Mahmoud Ahmadinejad, le Mouvement vert de 2009… C’est un homme consensuel qui a su rassurer le peuple car il n’entend pas dresser l’Iran contre le reste du monde. Il se définit lui-même comme un diplomate, voire un mollah diplomate. Mais ce n’est pas la première fois que cela se produit, en Iran l’on assiste à un phénomène de balancier depuis de longues années entre la droite et la gauche.

Quelle sera sa marge de manœuvre avec le Guide suprême Ali Khameini?

Lors du second mandat de Mahmoud Ahmadinejad ou entre 1997 et 2007 sous la présidence de Mohammad Kathami, on a pu parler de cohabitation. Or, en 2013, la situation est différente. Le président nouvellement élu et le Guide suprême sont d’accord. Ali Khameini considère Hassan Rohani comme un interlocuteur valable, lui accorde une grande crédibilité, et le partage des tâches va s'effectuer simplement. Rohani est à l’image de la politique iranienne, c’est un homme qui sait jouer avec les rapports de force et pendant trois ans il va pouvoir s’appuyer sur de larges prérogatives du fait de sa large victoire.

Le Guide suprême est lui le garant des idéaux basiques de la République islamique à savoir que les préceptes occidentaux n’envahissent pas les politiques iraniennes. Il sait que Rohani est un président qui peut être le chef d'orchestre de cette musique et surtout qu’il ne se positionne pas en challenger de son autorité.

30% d’inflation, 25% de chômage, des sanctions internationales lourdes, peut-on envisager une sortie rapide de la crise?

Les sanctions internationales, si elles n’ont en rien réglé la question nucléaire, ont durement frappé la société iranienne et l’élection du week-end passé en est une des conséquences. Les Iraniens veulent sortir d’une crise qui affaiblit l’ensemble des classes du pays et notamment la moyenne bourgeoisie. Cette situation n’arrange personne et les Etats-Unis, malgré un Congrès fortement anti-iranien, veulent une sortie de crise la plus rapide possible. La position méfiante d’Israël est naturelle mais l’arrivée du nouveau président, acceptée par les autorités iraniennes, doit dédiaboliser le pays.

Comment l'Iran et la communauté internationale peuvent-ils nouer une relation de confiance?

Une solution de consensus existe sur la question clé du nucléaire, elle a été rappelée par Hassan Rohani dès son élection, qui consisterait à autoriser l’enrichissement de l’uranium à des fins civiles à hauteur de 5%. De toute façon l’Iran aujourd’hui enrichit à 20% et peut faire bien plus.

L’Iran vient de faire un pas en avant en élisant un centriste, c’est au tour des occidentaux. Et cela passera d'abord par la résolution du conflit syrien que l’on ne peut résoudre politiquement sans y associer l’Iran. Or la France, qui peut avoir un grand rôle à jouer, s’oppose à sa participation à la conférence pour la paix de Genève 2. Pourtant, ce serait une première étape dans un processus de normalisation.

Ensuite, la levée des sanctions est inéluctable car il n’est pas possible que l’Iran se relève quand on lui impose, par exemple, de ne produire que 100.000 véhicules en 2014 alors qu’il en produisait 1,6 million en 2011. L’on ne résoudra pas en six mois, 35 ans de guerre froide entre l’Iran et les Etats-Unis. Cela se fera de manière progressive, avec une feuille de route sérieuse, sur un principe de donnant-donnant.

Propos recueillis par Samuel Auffray