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En Iran, un an après la mort de Mahsa Amini, une contestation qui ne demande qu'à rejaillir

Un an après le mouvement de contestation historique mené par les femmes iraniennes qui a suivi la mort de la jeune Mahsa Amini, les autorités iraniennes ont organisé une répression féroce contre les contestataires pour instiguer la peur dans ce mouvement populaire. Mais les oppositions persistent, clandestinement, sur les réseaux sociaux ou à l'étranger.

"Femme, vie, liberté": un an après la mort en détention à Téhéran de Mahsa Amini, 21 ans, arrêtée par la police des moeurs pour avoir mal porté son voile, ce slogan est devenu le symbole du mouvement de protestation massif et historique d'une part de la population iranienne contre le régime des mollah et ses règles jugées étouffantes.

Mais après des mois de manifestations réprimées dans le sang, des centaines de morts, plus d'un millier d'arrestations et le harcèlement des protestataires par les autorités, le pouvoir est parvenu à faire revenir un semblant de calme dans les rues.

La colère et le désespoir des Iraniens continuent de s'exprimer contre les diktats relatifs aux moeurs, la domination conservatrice dans le secteur politique et le marasme économique. En premières ligne: les femmes, les jeunes, les habitants aisés des grandes villes et quelques célébrités. Ils s'expriment plus ou moins anonymement sur les réseaux sociaux ou plus librement depuis l'étranger et semblent n'attendre qu'une chose: que les rues s'enflamment à nouveau pour peut-être, un jour, voir la République islamique s'effondrer.

Iran : ces femmes qui ne veulent plus se taire
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17:50

Contestations dans tout le pays

Selon les autorités, la jeune femme est morte le 16 septembre, quatre jours après son arrestation alors qu'elle était en visite à Téhéran et qu'elle s'apprêtait à faire sa rentrée dans une université du nord-ouest de l'Iran. Lors du contrôle, les agents de la police des moeurs expliquent à la famille de Mahsa Amini qu'ils vont embarquer la jeune fille pour lui dispenser des "instructions" dans "un des quartiers généraux de la police" en compagnie d'autres personnes, et qu'elle sera relâchée "sous quelques heures".

Trois jours plus tard, les policiers annoncent la mort de la jeune femme. Ils expliquent qu'elle "s'est soudainement évanouie alors qu'elle était avec d'autres personnes dans une salle de réunion" et qu'elle est décédé peu après dans un institut médico-légal. La télévision d'État diffuse bientôt des extraits vidéos censés corroborer la version policière et où l'on voit une femme de dos s'effondrer dans une salle sous les yeux de plusieurs témoins.

Cette annonce a rapidement provoqué une vague de colère importante dans le pays, que ce soit dans le Kurdistan natal de Mahsa Amini (son prénom d'usage était d'ailleurs Jina, un nom kurde refusé par l'état-civil iranien), régulièrement réprimé par le pouvoir central, dans la capitale Téhéran ou à Ispahan, la troisième ville du pays. Sans compter les mouvements plus sporadiques dans de plus petits centres urbains.

Dans les cortèges, de nombreuses femmes ont enlevé leur hijab en signe de protestation contre l'obligation de le porter, en vigueur depuis la révolution islamique de 1979. Des milliers de personnes défilent certains jours, lancent des slogans anti-régimes et confrontent la police à coup de jets de pierre.

Féroce répression et pouvoir inflexible

La répression est instantanée et des centaines de manifestants sont arrêtés, violentés, torturés et parfois exécutés partout dans le pays, lorsqu'ils ne sont pas tombés pas sous les balles des forces de l'ordre tirés sur les cortèges. Un an plus tard, le bilan est lourd: début juin, 173 personnes avaient déjà été éxecutées en Iran depuis le début de l'année selon Amnesty International, soit près de trois fois plus que la même période en 2022.

Dans la vie de tous les jours, l'étau s'est resserré, le non-port du voile est beaucoup plus contrôlé: il est en passe de devenir un délit, et donc passible d'une peine de prison, alors qu'il était sanctionné jusqu'ici d'une simple contravention.

"Aujourd'hui, une femme seule qui laisse tomber son voile sur ses épaules ou qui le porte mal ne sera pas forcément contrôlée, mais si elles sont plusieurs et que ça semble revendiqué, ce sera quasi systématique", note Amélie Chelly, sociologue spécialiste de l'Iran et des islams politiques et chercheuse associée au CNRS et à l'EHESS.

En parallèle, des structures publics comme des hôpitaux et des bibliothèques ont reçu des directives leur interdisant d'accueillir des femmes ne portant pas de voile. Des milliers d'établissement privés, principalement des boutiques, cafés et restaurants accueillant des femmes non voilées ont été visés par des fermetures administratives.

La vraie-fausse dissolution de la police des moeurs

Début décembre 2022, le pouvoir iranien a semblé faire un geste en faveur de la rue. Le procureur général a annoncé la dissolution de la police des moeurs, qui avait arrêté Mahsa Amini. Créées en 2005 par l'ancien président conservateur Mahmoud Ahmadinejad, ces brigades sont responsables de milliers de contrôles et d'arrestations, et sont réputées pour leur zèle.

"Ça a surtout agité les Occidentaux: en Iran, la plupart des gens savaient que soit c'était un mensonge, soit ça ne changerait pas grand-chose", résume Amélie Chelly.

"Ça n'a jamais été confirmé par l'État iranien. Pendant plusieurs mois, on ne voyait plus les voitures et les motos avec le logo de la police des moeurs", relate Irène Ansari, franco-iranienne, opposante au régime et coordinatrice de la Ligue des femmes iraniennes pour la démocratie.

En juillet, une police disposant des mêmes prérogatives que la police des moeurs a fait son retour dans les rues iraniennes, reprenant les contrôles et arrestations qui avaient été déléguées à d'autres organes de surveillance de la population, mais arborant un logo différent.

"Les autorités ont dit qu'ils avaient prévu d'embaucher des milliers de personnes pour ce service", explique Irène Ansari.

Le refuge menacé d'internet

Dès le début, le mouvement s'est aussi déployé sur les réseaux sociaux, malgré les coupures internet décidées par le régime. Des images des manifestations ont circulé, de même que des vidéos de femmes brûlant leur voile ou se coupant les cheveux.

Internet est aujourd'hui devenu le principal moyen d'expression des contestataires: des vidéos circulent régulièrement, montrant notamment des femmes marchant dans la rue de dos, sans voile, parfois épaules et jambes découvertes, souvent à la nuit tombée. Les plateformes ont également vu fleurir des messages ou gestes forts de célébrités, qui ont régulièrement été arrêtés lorsqu'elles n'étaient pas exilées.

"À un moment, il y a eu un mouvement d'annonces de suicide postées en ligne", rappelle Amélie Chelly, "ça s'est un peu calmé aujourd'hui, mais c'était un moyen de montrer à la fois la forte détermination et le désespoir d'une partie de la population".

Mais la répression a elle aussi développé son pendant numérique. "Le budget de cybersurveillance a été démultiplié avec de plus en plus d'outils technologiques. Ça fait presque un an qu'on ne parle plus directement du mouvement sur les réseaux en Iran, par peur", explique la chercheuse.

Elle détaille également les pressions reçues par les plus jeunes opposants: "Ce qu'ont fait les autorités, pendant le mouvement, c'est qu'ils prenaient des photos des manifestants, sans rien dire, et puis quand ces personnes s'expriment [de façon jugée subversive] sur les réseaux, leur famille reçoit la visite de personnes qui leurs disent: 'attention, ce serait mieux si votre fils ou votre fille se calmait, il pourrait lui arriver des problèmes'".

Alors les Iraniens continuent d'échanger en ligne, mais sur des groupes ou serveurs privés, en espérant que la police n'y ait pas accès. C'est là, par exemple, que circulent de nombreux appels à manifester partout dans le pays le 16 septembre, mais qui ont valu à de nombreux organisateurs d'être arrêté, notamment fin juillet et début août.

Un anniversaire à haut risque pour les opposants

Il est possible que des manifestants descendent plus ou moins spontanément dans les rues, à Téhéran ou ailleurs. Mais dans ce cas, la répression pourrait être dure. Symbole du lourd climat qui règne dans le pays, des journalistes qui ont couvert l'affaire Mahsa Amini ont été arrêtées plusieurs fois et l'une d'entre elles risque la peine de mort. L'oncle de la jeune femme a lui aussi été arrêté le 5 septembre. Il est retenu dans un lieu inconnu.

Dans ce contexte, Irène Ansari voit mal l'anniversaire de la mort de Mahsa Amini coïncider avec le second souffle de la mobilisation: "Je ne pense pas qu'il y aura des manifestations massives, mais au Kurdistan iranien, les partis pro-kurdes ont appelé à la grève générale. C'est une région où l'armée iranienne est présente [pour combattre les groupes armés indépendantistes], donc ils n'ont pas appelé à manifester parce qu'ils savent qu'il y aurait des milliers de morts".

Ce mouvement protestataire est le dernier épisode d'une série de sursauts contestataires, mais il témoigne d'une colère populaire profondément enracinée, en lien non seulement avec le poids des règles de moeurs, mais aussi l'absence de libertés politique et la mauvaise situation économique depuis le retour des sanctions qui ont suivi le retrait de Washington puis de Téhéran de l'accord sur le nucléaire iranien.

Pour Amélie Chelly, "la particularité de ce mouvement, c'est qu'il s'inscrit dans la durée, comme si on avait atteint un point de non-retour. (...) Les Iraniens ont un courage qu'on ne soupçonne pas et certains se disent qu'ils n'ont plus rien à perdre et n'ont pas peur d'aller perdre la vie".

En face, le régime ne semble pas ouvert à des concessions. Ce refus de céder à la rue est caractéristique du gouvernement d'Ebrahim Raïssi, élu président en août 2021 partisan d'une ligne dure au sein d'une théocratie déjà très conservatrice.

"En Iran, on fait toujours deux mandats car on aime beaucoup le long terme", rapelle Amélie Chelly. Il est donc peu probable d'observer des signes de desserrement du pouvoir iranien avant 2029, date de la fin du potentiel deuxième mandat du président.

Irène Ansari met toutefois en garde contre des espoirs d'évolution d'un régime qui en viendrait à accorder plus de libertés aux Iraniens: les dirigeant iraniens "citent souvent Gorbatchev [le dernier dirigeant soviétique], en disant qu'il a essayé de réformer et que c'est à ce moment-là qu'il a perdu le contrôle et que l'URSS s'est effondrée. Ce régime est prêt à tuer des milliers de personnes pour faire en sorte que rien ne change".

Glenn Gillet