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Moyen-Orient

Exécutions en Arabie saoudite: nouvelle journée de tensions dans le monde chiite

Une manifestation anti-Arabie saoudite à Bagdad, en Irak, le 3 janvier.

Une manifestation anti-Arabie saoudite à Bagdad, en Irak, le 3 janvier. - Sabah Arar - AFP

Ce dimanche a été marqué par une nouvelle journée de tensions et de manifestations anti-Arabie saoudite dans le tout le monde chiite, après l'exécution par Riyad d'un chef religieux chiite très respecté.

L'escalade se poursuit au Moyen-Orient. L'exécution, samedi, en Arabie saoudite, d'un dignitaire chiite a continué à exacerber les tensions ce dimanche au Moyen-Orient, notamment en Iran où l'ambassade saoudienne a été en partie détruite par des manifestants samedi soir.

La mise à mort du cheikh saoudien Nimr Baqer al-Nimr, un critique virulent du pouvoir à Riyad, a également provoqué la colère dans les communautés chiites d'Arabie saoudite, d'Irak, du Liban, du Yémen, de Turquie, de Bahreïn, ainsi qu'au Pakistan et au Cachemire indien. Le dignitaire de 56 ans a été exécuté samedi avec 46 personnes condamnées pour "terrorisme".

Violences à Téhéran

Les critiques les plus violentes sont venues d'Iran, grand rival chiite de l'Arabie saoudite sunnite dans la région. "Sans aucun doute, le sang du martyr (Nimr) versé injustement portera ses fruits et la main divine le vengera des dirigeants saoudiens", a averti le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei. Quelques heures plus tôt, en milieu de nuit, des centaines de personnes en colère ont lancé des cocktails Molotov contre l'ambassade d'Arabie saoudite à Téhéran dans laquelle ils ont pénétré. Le consulat saoudien à Machhad (nord-est) a également été attaqué.

Plus d'un millier de personnes ont de nouveau manifesté dans la journée à Téhéran mais sans incident. Un rassemblement s'est tenu à proximité de l'ambassade saoudienne malgré l'interdiction du gouvernement. Avant d'être dispersés par la police anti-émeutes, les manifestants ont crié "Mort à Al-Saoud", du nom de la famille régnante à Riyad et des drapeaux américains et israéliens ont été brûlés. La rue où est située l'ambassade a été rebaptisée du nom du dignitaire chiite exécuté, selon l'agence iranienne Isna.

Manifestations dans tout le monde chiite

Si l'indignation et la colère sont particulièrement fortes en Iran, des chiites ont manifesté aussi en Arabie saoudite et en Irak. L'ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité chiite en Irak, a qualifié d'"agression" le "versement du sang pur" des exécutés.

Au Liban, Hassan Nasrallah, chef du puissant mouvement chiite Hezbollah, allié de l'Iran, a condamné le "terrorisme" et le "despotisme" de l'Arabie saoudite. A Bahreïn, des affrontements violents ont opposé la police à des manifestants de la communauté chiite, majoritaire dans ce pays dirigé par une dynastie sunnite.

Au-delà du Moyen-Orient, des manifestations contre l'Arabie saoudite ont eu lieu au Pakistan ainsi qu'au Cachemire indien où des centaines de manifestants chiites se sont affrontés à la police qui a tiré des gaz lacrymogènes.

Quels sont les risques?

Le cheikh Nimr avait été condamné à mort en 2014 pour "terrorisme", "sédition", "désobéissance au souverain" et "port d'armes". Il avait été la figure de proue du mouvement de contestation qui avait éclaté en 2011, dans la foulée du Printemps arabe, dans l'est saoudien, où vit l'essentiel de la minorité chiite qui se plaint de marginalisation.

Pour les experts, l'aggravation de la tension entre Riyad et Téhéran risque d'alimenter les guerres par procuration que se livrent les deux puissances, notamment en Syrie et au Yémen. Pour François Heisbourg, conseiller à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à Paris, la flambée de tensions rappelle aux Occidentaux que le monde musulman reste secoué par des luttes d'influence entre "Saoudiens et Iraniens, Persans et Arabes, sunnites et chiites" dont les enjeux sont autrement plus importants aux yeux de Riyad et Téhéran que la lutte contre Daesh. 

Une guerre est-elle possible?

Dès lors, existe-t-il un risque de guerre directe entre Riyad et Téhéran? "Non", selon Karim Pakzad, chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste du Moyen-Orient.

"Du côté de l'Iran, les dirigeants actuels, malgré quelques dérapages en termes de langage, sont des hommes extrêmement lucides et réalistes. Les négociations sur le dossier nucléaire ont montré que l'Iran est conscient de ses limites et surtout de sa volonté de devenir une puissance. Or pour devenir une puissance, l'Iran a besoin d'une ouverture sur le monde, notamment sur le monde occidental. L'Iran a choisi cette voie-là, c'est la raison pour laquelle le pays a fait beaucoup de concessions sur son dossier nucléaire, et ce n'est certainement pas en ce moment que Téhéran va chercher une guerre", a fait valoir Karim Pakzad, au micro de BFMTV, dimanche soir. 

Adrienne Sigel, avec AFP