BFMTV
International

Mort de Frédéric Leclerc-Imhoff: comment l'enquête pour crime de guerre va-t-elle se dérouler?

Dès lundi, le parquet national antiterroriste français a annoncé l'ouverture d'une enquête pour crime de guerre afin de faire la lumière sur la mort de notre journaliste Frédéric Leclerc-Imhoff en Ukraine. Les investigations couvrant des faits commis en territoire étranger verront la collaboration des autorités françaises et ukrainiennes.

Lundi, notre journaliste reporter d'images Frédéric Leclerc-Imhoff a été tué par un éclat d'obus tandis qu'il couvrait une opération d'évacuation de civils ukrainiens près de Lyssytchansk, dans l'est du pays envahi par la Russie. Présent à ses côtés dans le même véhicule blindé, notre collègue Maxime Brandstaetter a quant à lui été touché à la jambe. La fixeuse ukrainienne qui les accompagnait - Oksana Leuta - n'a pas été atteinte.

En déplacement en Ukraine, la ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, s'est aussitôt mise en rapport avec le pouvoir local pour exiger une "enquête transparente" afin d'éclairer les circonstances de la mort de notre journaliste. Mais pour le moment, c'est à Paris qu'elle a été entendue. Dans la foulée, le parquet national antiterroriste (PNAT) a en effet annoncé l'ouverture d'une enquête de flagrance pour crimes de guerre, confiée à l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre.

Les questions sont nombreuses autour de ces investigations conduites sur des faits perpétrés en territoire étranger. Depuis la nécessaire collaboration entre les justices ukrainienne et française jusqu'aux enjeux de l'enquête, BFMTV.com fait le point sur le déroulement de la procédure.

• Comment définit-on un crime de guerre?

La nature humanitaire de l'opération couverte par nos journalistes se trouve au centre de la procédure. Car au-delà même de démêler l'ensemble des faits ayant abouti à la mort de Frédéric Leclerc-Imhoff, les enquêteurs devront établir de manière irréfutable qu'ils relèvent de la notion de crime de guerre.

William Julie, avocat au barreau de Paris spécialisé en droit international, nous l'a expliqué en plateau ce mardi matin: "Il va falloir déterminer si le tir a visé ce convoi en sachant qu’il transportait des civils et si oui, c’est un crime de guerre."

L'homme de loi a ensuite précisé que la mort de Frédéric Leclerc-Imhoff dans l'exercice de ses fonctions de reporter était aussi décisive: "Les journalistes sont protégés – comme les civils – par la Convention de Genève, donc un journaliste visé en connaissance de cause, c’est un crime de guerre aussi."

Au moins huit journalistes ont été emportés par la guerre menée par la Russie en Ukraine depuis le début du conflit, d'après un bilan tiré par Reporters sans frontières. Côté français, le Parquet national antiterroriste en est déjà à sa sixième enquête relative à cette invasion. C'est toutefois la première fois que celle-ci est dite "de flagrance", une mention qui permet d'envisager une accélération de la procédure.

• Ukrainiens, Français: qui mènera les investigations?

L'enquête ouverte dès lundi soir par le parquet national antiterroriste français porte donc sur un soupçon de crime de guerre. Le PNAT est compétent pour lancer une telle procédure, bien que les faits dénoncés se soient produits en terre étrangère, dans la mesure où les victimes sont des ressortissants français.

L'enquête conduite par l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre a été placée sous les trois chefs suivants: atteinte volontaire à la vie d’une personne protégée par le droit international des conflits armés; attaque délibérée contre des civils ne prenant pas part aux hostilités ; attaque délibérée contre des personnes et des véhicules employés dans le cadre d’une opération humanitaire.

Mais la justice française devra s'en remettre pour beaucoup à sa consœur ukrainienne. "Ce seront d’abord les juges ukrainiens qui enquêteront puisque ça se situe en territoire ukrainien", a ainsi mis en exergue Patrick Sauce, notre éditorialiste pour les questions internationales, avant d'observer cependant: "Comme le parquet national antiterroriste français a ouvert une enquête, une information judiciaire va permettre aux enquêteurs français et notamment ceux du pôle de l'Office central de lutte contre les crimes contre l'humanité, les génocides et les crimes de guerre d’aller sur place."

En duplex sur notre antenne, le vice-président d'Amnesty International France a éclairé cette répartition des tâches. "C’est un principe de complémentarité qui s’applique", a ainsi mis en lumière Jean-Claude Samouiller, qui a bientôt détaillé: "D’abord, c’est la justice du pays des faits qui travaille, mais en principe, d’autres États peuvent travailler au titre de la compétence universelle".

• Comment enquête-t-on sous les bombes?

Les enquêteurs et magistrats ukrainiens en première ligne, et leurs homologues français en deuxième rideau, donc. Mais si on sait qui va mener ces investigations, reste encore à savoir comment ils opéreront. Et la tâche s'annonce d'autant plus périlleuse qu'elle se situe en pleine zone de guerre. "Il faut faire une enquête policière au milieu des bombes", a d'ailleurs résumé notre éditorialiste Patrick Sauce.

Qui dit "enquête policière" dit déplacement sur le terrain, rassemblement des preuves, et établissement des suspects et responsabilités. Il s'agira surtout d'être rapide et efficace. "Il faut faire l'enquête immédiatement car cette zone où Frédéric a été tué sera peut-être russe d’ici trois jours", a souligné Patrick Sauce. "C’est une enquête qui a dû commencer dès hier", a encore appuyé l'avocat américain, spécialiste de droit international, Reed Brody, sur notre antenne.

"Il faut préserver les preuves qui sont là: le véhicule, mais surtout les fragments d’obus. Car il va falloir déterminer avec le plus de précision possible leur provenance. Donc il faut voir la marque, le calibre, le poids", a-t-il illustré.

Le savoir-faire des ONG en la matière peut ici s'avérer précieux. Et le vice-président d'Amnesty International France d'insister sur l'importance des enquêtes de proximité en pareil cas.

"Tout d’abord, nous avons des équipes sur le terrain qui vont interroger les victimes ou les proches des victimes, qui recroisent ces informations en interrogeant des témoins présents dans la région. Nous collectons aussi des munitions, des fragments de munition pour voir s'il ne s’agit pas de munitions interdites par le droit international", a affirmé Jean-Claude Samouiller dans un premier temps.

"Puis nous recroisons ces informations du terrain avec des informations collectées par des photos satellites ou des vidéos internet pour nous assurer que les faits sont bien survenus tel jour, à telle heure, dans tel quartier, afin de remettre à la justice internationale des éléments authentifiés et incontestables", a enchaîné le militant.

• Est-il possible d'identifier des responsables?

Dans toute enquête entourant un homicide le premier enjeu est bien sûr d'identifier le criminel. Mais la gageure paraît énorme dès lors qu'elle se situe en plein champ de bataille et que la mort est tombée du ciel sous la forme d'un tir d'artillerie. Selon notre éditorialiste pour les dossiers internationaux, c'est d'ailleurs, par la force des choses, une affaire de principe plutôt que de personnes: "L’enjeu c’est moins d’avoir quelqu’un derrière les barreaux que d’avoir une condamnation pour crime de guerre et savoir pourquoi Maxime, Frédéric et Oksana ont été touchés."

Mais l'avocat Reed Brody a voulu évacuer tout découragement éventuel: "Il n’est pas impossible que les services sachent déjà quelle unité était responsable, et déjà rien qu’à travers les réseaux sociaux des soldats, on peut savoir qui en étaient les membres."

"Le renseignement américain va peut-être pouvoir fournir des images, dire : "Ce tir est parti des positions russes", a d'ailleurs admis Patrick Sauce. Enfin, Jean-Claude Samouiller a appelé à ne pas s'en tenir à l'identification du seul tireur: "Il faut voir qui a donné l’ordre de bombarder, et remonter la chaîne de commandement.'

• Un procès pourrait-il se tenir en France?

Les chiffres révélés par les procédures ukrainiennes en la matière donnent plutôt raison aux optimistes. 40 suspects ont déjà été arrêtés par la justice locale dans le cadre d'investigations liées à de potentiels crimes de guerre, et trois procès instruits. L'un a déjà vu la condamnation d'un sous-officier russe. Si les deux autres audiences sont encore en cours, les militaires russes inquiétés y ont plaidé coupables.

En admettant qu'on identifie le meurtrier de Frédéric Leclerc-Imhoff et que ce dernier soit capturé, une issue française reste même envisageable dans ce dossier. L'avocat inscrit au barreau de Paris, William Julie, a ainsi soulevé la possibilité d'un procès en France. "C’est possible, au titre de ce qu’on appelle la compétence passive", a-t-il soutenu: "Des personnes arrêtées pourraient faire l’objet d’une demande d’extradition et le procès des responsables du tir pourrait alors se tenir en France".

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV