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Le Royaume-Uni au bord de la "crise constitutionnelle": comment en est-on arrivé là?

Mercredi, Boris Johnson a annoncé la suspension du Parlement. Une décision qui cristallise toutes les tensions autour d'un Brexit complexe. Pour l'opposition pro-européenne, il s'agit "d'empêcher le Parlement de débattre de la sortie du Royaume-Uni".

Plus de trois ans après sa décision de se désolidariser de l’Union européenne, le Royaume-Uni est, selon les mots du Times, "au bord de la crise constitutionnelle". Après les multiples échecs de Theresa May, le Parti conservateur au pouvoir, dont Boris Johnson a pris la tête la semaine du 22 juillet, tente coûte que coûte d’emmener son pays vers la sortie. Un entêtement qui créé des remous du côté de l’opposition pro-européenne, bien décidée à se battre pour ne pas sortir sans accord.

Dernier point qui cristallise les tensions: la suspension du Parlement britannique jusqu’au 14 octobre, qualifiée de "scandale constitutionnel" par le président de la Chambre des communes. Retour sur les étapes d’une discorde qui divise profondément le Royaume-Uni.

  • Avec le backstop, pas d’accord de sortie

Boris Johnson a remis de l’huile sur le feu en annonçant, lors du G7 qui s’est tenu du 24 au 26 août, que l'Union européenne devait "laisser tomber" le dispositif pour la frontière irlandaise - intitulé "backstop" - prévu dans le projet d'accord sur le Brexit, si elle voulait éviter une sortie sans accord du Royaume-Uni de l'UE.

Ce dispositif prévu dans le traité du Brexit pour la frontière irlandaise, entre la partie de l'île qui fait partie du Royaume-Uni et la République d'Irlande qui est membre de l'UE, constitue l'un des principaux points de désaccord entre Londres et Bruxelles. Il prévoit que, faute de meilleure solution à l'issue d'une période transitoire, et pour éviter le retour d'une frontière entre la province britannique d'Irlande du Nord et la République d'Irlande, le Royaume-Uni tout entier reste dans un "territoire douanier unique" avec l'UE.

Boris Johnson estime que ce dispositif porte atteinte à la "souveraineté de l'Etat britannique" et l'empêcherait de mener une politique commerciale indépendante des règles de l'UE.

  • Brexit à tout prix

Le G7 n’a pas permis d’apaiser les tensions et la question du backstop reste au cœur des dissidences. A l’issue du sommet, Boris Johnson s’est dit "à peine" plus optimiste sur la possibilité de trouver un accord sur la prochaine sortie du Royaume-Uni.

"Ça va être difficile... Il y un désaccord profond" entre Londres et l'UE, a-t-il reconnu, les deux parties bloquant sur la question de la future frontière irlandaise entre le Royaume-Uni et le marché unique européen. Chacun de son côté déclare que c'est à l'autre de faire un geste sur cet insoluble problème.
  • L’opposition britannique contre-attaque

En réaction, un seul objectif de la part de l’opposition: contrecarrer d'urgence un Brexit sans accord qui serait "désastreux", selon les chefs de file de l’opposition. Ils envisagent notamment de "voter une loi et la défiance" contre le gouvernement, ont ajouté le Labour, le Parti national écossais (SNP), les libéraux-démocrates, le Plaid Cymru (Pays de Galles), les Verts et le Groupe indépendant pour le changement.

Boris Johnson ne dispose de la majorité absolue qu'à une seule voix près au Parlement et il a évoqué la possibilité de suspendre l'assemblée pour empêcher les députés de bloquer un "no deal".

  • Boris Johnson muselle le Parlement

Quelques jours plus tard, le Premier ministre a mis ses menaces à exécution: le Parlement britannique sera suspendu pendant deux semaine à compter du 9 septembre, jusqu'au 14 octobre, soit deux semaines seulement avant la date prévue du Brexit.

C'est un "scandale constitutionnel", a jugé le président de la chambre basse du Parlement, John Bercow, qui s'était notamment fait remarquer lorsqu'il avait bloqué un nouveau vote sur l'accord de retrait de l'UE conclu par Theresa May quand elle était Première ministre, si son contenu n'était pas modifié, se faisant accuser de vouloir saborder le Brexit.

Si le Parlement britannique est traditionnellement suspendu plusieurs semaines en septembre en raison des conférences annuelles des partis politiques, l'extension de cette suspension jusqu'au 14 octobre, 12 jours après la fin de la dernière conférence, celle du parti tory, a provoqué des réactions outragées de l'opposition, qui a dénoncé une manœuvre "antidémocratique". "C'est un scandale et une menace à notre démocratie", a réagi Jeremy Corbyn, le chef du Labour, le principal parti d'opposition.

  • L’opposition vent debout contre Johnson

La suspension du Parlement est critiquée jusque dans les rangs conservateurs, l'ancien ministre des Finances Philip Hammond, opposé au scénario d'une sortie sans accord de l'UE, dénonçant un "scandale constitutionnel". "Il est absolument évident que l'objectif de la suspension est maintenant d'empêcher le Parlement de débattre du Brexit et de faire son devoir de définir une trajectoire pour le pays", a déclaré John Bercow.

Pour la cheffe du parti libéral démocrate, Jo Swinson, Boris Johnson a fait preuve de "lâcheté". "Il sait que les gens ne choisiraient pas le ‘no deal’ et que les représentants élus ne le permettraient pas. Il tente d'étouffer leurs voix", a-t-elle déclaré dans un communiqué. Les chefs de file des partis d'opposition se sont réunis pour convenir d'une stratégie commune afin d'éviter ce départ de l'Union européenne sans accord en votant une loi dans ce sens.

  • Riposte judiciaire face à un "coup d’Etat"

Sur le site officiel petition.parliament.uk, une pétition contre la décision, qualifiée par les opposants de "coup d'Etat", dépasse ce jeudi après-midi les 1,4 million de signatures. Des milliers de personnes ont manifesté mercredi soir à Londres, Manchester, Edimbourg et d'autres grandes villes. Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant le Parlement en scandant "Arrêtez le coup d'Etat" et en brandissant le drapeau européen, puis à Downing Street où est installé le Premier ministre.

Pour le quotidien The Guardian un "clash parlementaire historique" s'annonce, alors que des députés hostiles au Brexit cherchent un moyen de contrer la décision du Premier ministre.

Les opposants à un Brexit dur ont lancé ce jeudi une offensive judiciaire contre la décision du Premier ministre de suspendre le Parlement. "Il n'y a pas d'exemple dans l'histoire moderne où la suspension a été utilisée de cette façon", a dénoncé sur la BBC Gina Miller, une femme d'affaires et militante anti-Brexit ayant engagé un recours devant la justice anglaise. "Elle est manifestement utilisée (...) pour empêcher le Parlement de légiférer contre une absence d'accord."

Gina Miller avait déjà gagné en 2017 une bataille juridique pour forcer le gouvernement, alors dirigé par Theresa May, à consulter le Parlement sur le processus de retrait. Un groupe d'environ 75 parlementaires pro-UE était de son côté entendu en urgence par la plus haute instance civile d'Ecosse dans l'attente d'une audience sur le fond le 6 septembre. Un autre recours introduit au nom d'un militant des droits de l'Homme nord-irlandais, Raymond McCord, sera examiné vendredi devant la Haute Cour d'Irlande du Nord.

Ambre Lepoivre avec AFP