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Il y a 50 ans, le "Bloody Sunday" déchirait l'Irlande du Nord

BFMTV.com revient sur l'un des épisodes les plus sanglants et symboliques de l'histoire du conflit nord-irlandais.

C'était il y a un demi-siècle. Le 30 janvier 1972, treize catholiques, dont sept adolescents, sont tués par des parachutistes de l'armée britannique à Derry/Londonderry, lors d'une manifestation pacifique. Un quatorzième, blessé par balle, succombera à ses blessures quelques semaines plus tard.

Cette tragédie est nommée "Bloody Sunday" (dimanche sanglant) et marque un moment-clé des "Troubles", ravivant ce conflit nord-irlandais entre catholiques, partisans d'une réunification de l'Irlande, et protestants, fidèles à la Couronne d'Angleterre. Un conflit qui fera 3 500 morts et 45 000 blessés jusqu'en 1998.

Manifestation pacifique

Ce dimanche-là, l'association nord-irlandaise pour les droits civiques (Nicra) organise une marche non-violente pour protester contre la loi sur l’internement décrétée peu avant et qui permettait d'emprisonner quelqu'un sans jugement préalable. Une mesure dirigée contre les catholiques républicains pour lutter contre le groupe paramilitaire de l'IRA. Depuis plusieurs années, ces derniers subissent des discriminations arbitraires en Irlande du Nord avec des politiques partiales en termes d’emploi, de logement ou de justice, par exemple.

Une fresque montrant les 14 victimes du Bloody Sunday, dans le Bogside de Derry/London Derry.
Une fresque montrant les 14 victimes du Bloody Sunday, dans le Bogside de Derry/London Derry. © Paul Faith / AFP

Dans un contexte de tensions grandissantes, notamment depuis qu'une manifestation pacifique de la Nicra concernant l'accès aux logements sociaux a tourné à l'affrontement en 1968, marquant le début officiel des Troubles, les marches sont interdites. Toutefois, les autorités britanniques décident d'autoriser celle-ci en modifiant le tracé, de façon à ce qu'elle se passe uniquement dans la zone catholique de la ville, ségréguée entre les deux communautés. Catholiques, nationalistes, républicains d'un côté. Protestants, unionistes, loyalistes de l'autre.

Ordre de tirer à balles réelles

Ainsi, des barricades ont été érigées pour modifier le parcours et un régiment de parachutistes de l'armée britannique est arrivée le matin même à Derry/Londonderry. La marche débute à 14h45 avec près de 20.000 manifestants. Un groupe d'adolescents tente alors de franchir les barrières pour suivre le tracé initial. Aux jets de pierres, les soldats britanniques ripostent avec des balles en caoutchouc, des canons à eau et des gaz lacrymogènes. Des affrontements de ce type avec des jeunes sont alors courants, d'autant plus que ce jour-là, ils sont peu intenses.

Pourtant, la brigade de parachutistes fini par ouvrir le feu. La situation dégénère et beaucoup de manifestants cherchent à fuir. L'ordre de tirer à balles réelles est donné et la première victime, Jackie Duddy, est abattue. Au total, treize personnes sont tuées sur le coup, la plupart dans le dos. Quatorze sont également blessées, douze par balles et deux écrasées par des véhicules militaires. Au total, plus d'une centaine de cartouches sont tirées directement dans la foule par les troupes.

Enlisement du conflit

Ce sombre épisode de l'histoire nord-irlandaise marque un tournant dans le conflit. Les années 1970 sont le théâtre d'une grande violence, avec une radicalisation des deux camps. En représailles du "Bloody Sunday", l'ambassade du Royaume-Uni à Dublin est incendiée. Quelques mois plus tard, l'IRA fait également exploser vingt-deux bombes dans Belfast, tuant ainsi neuf personnes: c'est le "Bloody Friday". Au final, en 1972, plus de 500 personnes sont tuées.

Les événements du 30 janvier 1972 entraînent également le creusement du fossé entre les deux communautés de la province. L'armée britannique perd toute confiance et crédibilité aux yeux des catholiques, qui croyaient encore en sa partialité et qui ne la voyaient pas comme une force répressive, à l'inverse de la police locale. Ainsi, à partir de là, les rangs de l'IRA se gonflent.

La bataille de la mémoire

La brutalité du "Bloody Sunday" est restée gravée dans les mémoires et s'est vêtue d'une véritable symbolique. Deux jours après les faits, Paul McCartney et les Wings sortent un morceau intitulé "Give Ireland Back to the Irish" (rendez l’Irlande aux Irlandais), directement interdite en Angleterre. Quelques mois plus tard, c'est John Lennon qu'inspire le 30 janvier 1972. Puis, une décennie après, U2 signe le tube planétaire "Sunday Bloody Sunday".

Toutefois, la mémoire officielle du drame est écrite différemment. Deux visions des faits s'affrontent: d'un côté, les soldats ont délibérément tiré sur une foule pacifique ou, de l'autre, les parachutistes auraient d'abord essuyé des tirs de l'IRA. Très vite, le gouvernement britannique tranche pour la seconde option. Pourtant, aucune arme n'a été retrouvée sur les lieux et toutes les victimes se comptent parmi les manifestants, aucun parachutiste n'a été tué ou blessé ce jour-là.

S'engage alors une longue quête de vérité et de justice. Mais ce n'est qu'à partir des accords de paix de 1998 que des témoignages et des enquêtes contredisent la thèse officielle. En 2010, le Premier ministre David Cameron reconnaît la culpabilité des soldats britanniques et présente ainsi des excuses officielles. Mais les plaies sont loin d'être refermées. Un projet de loi présenté par Boris Johnson pourrait être discuté cette année pour mettre un terme à toutes les poursuites et enquêtes liées au conflit nord-irlandais, concernant à la fois les soldats britanniques et les groupes paramilitaires. Un projet fortement critiqué.

Salomé Robles