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Hervé Gourdel: l'Algérie a-t-elle parlé trop vite au sujet de ses ravisseurs?

 La vidéo de revendication de Jund al-Khilafah après le rapt du Français Hervé Gourdel.

La vidéo de revendication de Jund al-Khilafah après le rapt du Français Hervé Gourdel. - Capture Youtube - Jund al-Khilafah

Tant qu'ils n'ont pas été arrêtés, la formule du ministre algérien de la Justice sur l'identification de "certains des membres du groupe terroriste" désignés comme les "auteurs" du rapt d'Hervé Gourdel comporte une part d'ambiguïté. Les autorités algériennes auraient-elles mieux fait d'attendre avant de communiquer sur cette enquête?

Evoquant l'enquête sur l'assassinat d'Hervé Gourdel, voici comment le ministre algérien de la Justice, Tayeb Louh, s'est exprimé mardi soir à la télévision publique: "Les premiers éléments de l'enquête ont permis d'identifier certains des membres du groupe terroriste auteurs de ce crime".

Or, tant qu'ils n'ont pas été appréhendés, peut-on vraiment s'assurer de l'identité de ces "auteurs" ou ravisseurs? Les autorités algériennes n'ont-elles pas été trop promptes à communiquer sur cette "avancée" dans l'enquête? S'agissait-il de donner des gages à la France?

La Quai d'Orsay reste circonspect

En France justement, Le ministère des Affaires étrangères se refuse à tout commentaire: "Notre coopération avec les autorités algériennes est étroite. Celles-ci poursuivent activement leurs recherches pour retrouver le corps de notre compatriote et arrêter ses assassins. Les auteurs de cet acte ignoble doivent faire face à leurs responsabilités", a expliqué le porte-parole du Quai d'Orsay, Romain Nadal. Dont acte.

Pourquoi les autorités algériennes communiquent-elle autant?

Communiquer sur "l'identification" de ravisseurs toujours cachés dans les montagnes où Hervé Gourdel prévoyait d'exercer son métier de guide est une démarche inhabituelle. Mais elle fait sens en prenant le recul historique nécessaire. Ainsi, Louis Caprioli, conseiller du groupe Geos et ancien responsable de la lutte antiterroriste à la DST, revient à 1996 et au dramatique épisode de l'enlèvement suivi de l'exécution des moines de Tibehirine. "A l'époque, l'Algérie a été mise en accusation par beaucoup car elle n'avait pas mis en place de procédure judiciaire", explique le spécialiste.

Il faut toutefois se souvenir de l'ampleur du phénomène terroriste en Algérie dans les années 90: "Il y avait 20.000 maquisards et des villages entiers détenus par eux". Aujourd'hui, les choses sont très différentes et une commission rogatoire a été mise en place par l'Algérie, qui fait donc les choses dans les formes "Les autorités algériennes veulent bien montrer que l'Algérie est un Etat de droit", analyse Louis Caprioli. Pour cet expert, ce n'est justement pas un hasard si ces déclarations émanent du "ministre de la Justice" algérien.

Des terroristes depuis longtemps dans le circuit

Les vidéos mises en ligne par le groupe Jund al-Khilafah, qui a revendiqué le rapt du guide français, ont fourni aux enquêteurs algériens de précieux renseignements et peut-être un coup de pouce inattendu dans leur enquête. Mais que l'on évoque Abdelmalek Gouri, présenté comme le chef du groupe, ou Abou Hayane, un Mauritanien de 34 ans, ou encore Abou Abdallah Othman el-Assimi, tous ont un long passé de terroriste derrière eux. Les voir mêlés au meurtre d'Hervé Gourdel ne serait pas une surprise. Mais comment être sûr que ces "auteurs", tels que désignés par le ministre algérien, ont participé à l'enlèvement d'Hervé Gourdel?

"Un seul ravisseur" formellement identifié?

Pour Jean-Paul Rouiller, du Centre genevois d'analyse du terrorisme (GCTAT), "dès l'instant où les membres de Jund-al-Khilafah se sont présentés (vidéo de propagande diffusée mardi soir), les autorités algériennes n'ont eu qu'à recoller les pièces d'un puzzle en phase de constitution depuis le depuis le mois de mai de cette année".

Ce mois de mai, explique le spécialiste, correspond à la date de diffusion par al-Andalus, la branche média d'Aqmi (Al Qaïda au Maghreb islamique), d'une déclaration audio d'Abou Abdallah Othman al Asimi. Or cette déclaration est accompagnée d'une photo qui correspond à l'un des visages identifiés sur les vidéos diffusées par les ravisseurs d'Hervé Gourdel.

La seconde pièce du puzzle est donnée par la vidéo d'allégeance à l'Etat islamique, diffusée mardi, où Abdelmalek Gouri peut être reconnu. "A partir du moment où vous avez les deux personnages principaux", il suffit en quelque sorte de remonter la filière.

Mais pour Jean-Paul Rouiller, Abou Hayane, qui apparaît "à gauche de l'otage" français sur la première vidéo (revendication du rapt) et ensuite "en arrière-plan sur la vidéo de l'exécution", est "le seul ravisseur - si encore une fois c'est bien lui - qui soit formellement identifié". "Rien ne permet d'affirmer que Gouri ou al Asimi étaient avec le groupe qui a enlevé Gourdel", conclut-il.