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Guerre en Ukraine: la menace nucléaire évoquée à la télévision russe doit-elle être prise au sérieux?

Une chaîne proche du Kremlin a diffusé une séquence surréaliste où des journalistes évoquent le scénario d’une guerre nucléaire entre la Russie et des pays européens.

Kaliningrad-Paris en 200 secondes. La chaîne russe Rossiya 1, durant l'une de ses émissions diffusée la semaine dernière, s'est mise à imaginer le scénario selon lequel la Russie enverrait un missile Sarmat vers un pays européen. Un acte militaire en guise de réponse à l'Occident pour l'aide qu'il apporte à l'Ukraine depuis plus de deux mois.

À une heure de grande écoute, des journalistes russes de l'émission 60 minutes ont prôné une escalade du conflit et le recours à des armes dangereuses qui pourraient frapper de grandes villes européennes en moins de 5 minutes: 106 secondes pour Berlin depuis l'exclave de Kaliningrad, 200 secondes pour Paris et 202 pour Londres. Un timing précis pour un missile novateur: le Sarmat.

Moscou a annoncé il y a deux semaines le premier tir d'essai réussi de ce missile balistique intercontinental, autrement dit de très longue portée. "Une arme unique qui va renforcer le potentiel militaire de nos forces armées, qui assurera la sécurité de la Russie face aux menaces extérieures et qui fera réfléchir à deux fois ceux qui essayent de menacer notre pays avec une rhétorique déchaînée et agressive", a déclaré Vladimir Poutine, lors d'une annonce diffusée à la télévision.

Une émission polémique diffusée sur une chaîne publique

L'illustration de sa force de frappe par la chaîne télévisée russe proche du Kremlin a provoqué l'effroi en Europe, où l'infographie a choqué plus d'une personne. Reste que cette menace nucléaire évoquée par les journalistes est loin d'être le scénario privilégié par Moscou.

"C'est un extrait d'une émission extrêmement polémique avec des journalistes très proches du pouvoir et qui cherchent à se faire bien voir des autorités russes", explique Jean-Didier Revoin, correspondant BFMTV. "Vu le contexte, l'opposition entre l'Occident et la Russie fait leur beurre. Ils multiplient les débats à ce sujet. Quant à la possibilité d'une Troisième Guerre mondiale, évidemment c'est toujours possible, on ne va pas l'exclure par définition mais elle semble assez peu probable."

Léo Peria-Peigné partage cette analyse. Le chercheur à l'IFRI et à l'Observatoire des Conflits futurs évoque lui aussi une "émission un peu particulière avec un ton assez outrageant, à destination principalement du Kremlin et de la population russe".

"Le missile reste quelque chose d'assez neuf, testé avec succès d'après les Russes en 2022 donc c'est très très récent. Est-ce que le système est parfaitement au point comme ils le disent? Je ne sais pas, personne ne peut le dire à part les Russes eux-mêmes", poursuit-il sur notre antenne. "Cela reste une arme très moderne, dans ce qui est affiché de très performant et de très difficile à intercepter notamment du fait que le temps d'alerte est très court. C'est pour ce genre de situation que pendant la Guerre froide on avait envisagé un système de riposte", ajoute-t-il.

Invité à réagir à cet extrait sur BFMTV ce mercredi matin, le porte-parole de l'ambassade de Russie en France, Alexander Makogonov, a répondu: "La Russie cherche à éviter la guerre nucléaire depuis des décennies. C'est la télévision, ce n'est pas le président ou les ministres qui le disent. C'est montré, j'imagine, à titre d'avertissement, mais ce n'est pas une menace. C'est un montage pour montrer que la Russie a suffisamment de moyens pour répondre à toute menace".

Un scénario jugé peu probable

Sylvie Bermann, consultante diplomatie BFMTV et ancienne ambassadrice de France en Russie, ne se dit "pas étonnée" de cette mise en scène que l'on retrouve dans "des émissions complètement hystérisantes, très anti-ukrainiennes".

"Il (Vladimir Poutine, NLDR) n'est ni fou ni irrationnel: il sait très bien que son pays sera frappé en retour. Il y a peu de risque qu'il utilise", explique-t-elle sur BFMTV.

"On sait que cela fait partie de la doctrine militaire russe de prendre tous les moyens à disposition y compris la propagande et le buzz pour brouiller les pistes", développe Jean-Didier Revoin. Notre correspondant voit également derrière cette communication une réponse aux propos de Jean-Yves Le Drian au tout début du conflit russo-ukrainien: "il avait en premier rappelé à Vladimir Poutine que l'Otan est une alliance militaire dotée de l'arme nucléaire. Il faut peut-être y voir une réponse directe au ministre français. "

Hugues Garnier Journaliste BFMTV