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Guerre en Ukraine: ce que l'on sait du massacre de Boutcha

Alors que les autorités ukrainiennes évoquent le chiffre de 410 corps de civils découverts dans la région de Kiev libérée des Russes au cours du week-end, la ville de Boutcha est devenue le symbole des exactions perpétuées par l'envahisseur.

Depuis jeudi, l'armée russe a abandonné progressivement ses positions autour de Kiev. La région a même été totalement "libérée", a clamé le gouvernement ukrainien samedi soir. Mais ce qui aurait pu être un soulagement pour les populations locales a finalement pris une tournure cauchemardesque, quand les autorités locales et observateurs internationaux ont découvert de nouvelles atrocités dans ce nord-est de l'Ukraine.

Des dizaines de corps de civils ont en effet été retrouvés gisant dans les rues de plusieurs villes de la périphérie de la capitale, parfois ligotés. La procureure générale d'Ukraine Iryna Venediktova a chiffré pour l'heure à 410 le nombre de cadavres de civils recensés dans la région.

Dès samedi et sa reprise par les forces ukrainiennes, Boutcha, une ville située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Kiev, est devenue le symbole des exactions subies par la population civile. Le bilan est encore incertain, et l'enquête devra établir les circonstances exactes qui ont mené à cette tragique découverte. BFMTV.com fait le point sur les premiers éléments.

• Un bilan encore incertain

Boutcha est une ville moyenne qui comptait avant la guerre plus de 30.000 habitants et qui est située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale ukrainienne. Les Ukrainiens en ont repris possession samedi après que l'endroit a longtemps été occupé par les Russes dans la foulée de l'invasion du pays. Ils ont dans un premier temps constaté la présence sur la chaussée de 22 corps de civils, un bilan également appuyé par l'Agence France-Presse (AFP).

Les cadavres sont ceux de personnes habillées en civil, happées dans la rue. L'un d'eux est mort sur son vélo, l'autre a laissé tomber un sac plastique rempli de pommes de terres avant de succomber à même le bitume.

Celui-ci a rapidement - et grandement - été revu à la hausse. Tandis que la procureure générale évoque désormais les morts d'au moins 410 civils dans la région, un dernier décompte officiel parle d'au moins 290 morts à Boutcha. Une liste qui pourrait encore s'allonger.

"290, c'est le chiffre officiel des corps jonchant les rues ou dans les fosses communes mais nous n'avons pas pu vérifier tous les endroits, car beaucoup de gens ont enterré leurs morts devant les maisons et les parcs. Nous estimons donc le chiffre des morts à 350, tous des civils", a confié Anatoly Federuk, maire de Boutcha, à BFMTV ce lundi.

En-dehors de ces vérifications incomplètes, Kateryna Ukraintseva, qui siège au Conseil municipal de Boutcha, a mis en avant un second facteur compliquant encore l'établissement d'un bilan solide. "Il y a encore beaucoup de mines russes", a-t-elle assuré ce lundi toujours sur notre antenne, évaluant quant à elle à une "centaine " le nombre "d'autres corps" demeurant à exhumer. De quoi expliquer, aussi, que certains corps n'aient pas pu être enlevés plus tôt, de peur qu'ils soient piégés par les forces ennemies.

• Des victimes tuées d'une balle à l'arrière du crâne

Le maire de Boutcha, Anatoly Federuk a détaillé sur notre antenne la manière dont les Russes ont exécuté leurs victimes: "Toutes ces personnes ont été abattues, tuées, d'une balle à l'arrière de la tête."

Sur place, nos envoyés-spéciaux ont aussi constaté la présence de dépouilles aux mains ligotées dans le dos par un ruban blanc. Un tissu censé rappeler aux Russes qu'ils n'étaient pas des soldats. D'autres ont été tués au volant dans leurs véhicules, écrasés par des blindés.

"Les civils ont toujours besoin de traverser le centre-ville par exemple pour aller chercher de la nourriture au point de distribution, etc. Et dès que les gens sortaient dans la rue, les Russes tiraient à bout portant", a expliqué Anatoly Federuk sur notre antenne.

Celui-ci a encore pointé des cas de torture: "Dans les caves, des hommes entre 20 et 30 ans ont été torturés, sûrement parce qu'ils étaient considérés comme une menace".

• L'Ukraine veut un "mécanisme spécial pour juger les crimes russes"

Dimanche soir, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a pris la parole sur la chaîne CBS. Il s'est exprimé sans tarder au sujet du carnage de Boutcha.

"Pourquoi des civils ordinaires dans une ville paisible ont-ils été torturés à mort? Pourquoi les femmes ont-elles été étranglées, après qu'on leur a arraché leurs boucles d'oreille? Comment des femmes ont-elles pu être violées et tuées devant des enfants? Comment leurs cadavres ont-ils pu être profanés même après leur mort?", a énuméré le chef d'État. Avant de conclure: "Qu'est-ce que Boutcha avait fait à votre Russie?", en direction de l'envahisseur.

Précédemment, le président ukrainien a accusé l'agresseur de son pays de poursuivre un projet de "génocide" contre les siens: "Oui, c'est un génocide. (...) Nous avons plus de 100 nationalités en Ukraine. Il s'agit de la destruction et de l'extermination de toutes ces nationalités". Il a de plus sollicité la création d'un "mécanisme spécial" pour enquêter sur tous les crimes qu'il prête aux Russes sur ses terres.

Ce week-end, dans les premiers temps après la révélation du charnier de Boutcha, son ministre des Affaires étrangères, Dmytro Kouleba, avait déjà dénoncé publiquement un "massacre délibéré".

• La Russie pointe une mise en scène et en appelle à l'ONU

La Russie, quant à elle, nie toute responsabilité. Ce lundi, Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin, a lancé à la presse: "Nous rejetons catégoriquement toutes les accusations". Il a ajouté que les experts du ministère russe de la Défense avaient découvert des signes de "falsifications vidéo" et des "fakes" parmi les images du carnage circulant dans les médias.

"A en juger par ce que nous avons vu, on ne peut pas faire confiance à ces images vidéo", a surenchéri Dmitri Peskov.

Les chaînes de télé russes servent d'ailleurs cette vision des événements depuis ce week-end. Elles montrent ainsi des plans prétendument filmés à Boutcha où on semble voir des cadavres remuer. Les médias russes ont ainsi avancé qu'il s'agissait d'une "mise en scène" ukrainienne dans le but de s'attirer encore les bonnes grâces de l'opinion internationale.

La Russie, qui s'était plus tôt emportée contre des "provocations haineuses" selon la formule de son ambassadeur adjoint auprès de l'ONU, se tourne vers les institutions internationales.

"La Russie souhaite et réclame que cela fasse l'objet de discussions internationales", a posé Dmitri Peskov.

Concrètement, la Russie a réclamé la réunion - ce lundi - du Conseil de sécurité de l'ONU pour statuer sur le drame.

• La communauté internationale consternée

La communauté internationale apparaît d'ailleurs consternée par les nouvelles et les images autour de ces massacres découverts à Boutcha. Ce lundi matin, invité de France Inter, le président-candidat Emmanuel Macron a estimé qu'"il y a(vait) des indices aujourd'hui très clairs de crimes de guerre", jugeant "il (était) à peu près établi que c'est l'armée russe". Le sortant, qui s'était déjà exprimé au sujet de la tragédie de Boutcha dimanche sur Twitter, s'est alors prononcé "pour un nouveau train de sanctions et de mesures" contre la Russie de Vladimir Poutine.

Son interlocuteur allemand, Olaf Scholz, est sur la même ligne. "Nous déciderons de nouvelles mesures entre Alliés dans les prochains jours", a ainsi déclaré pour sa part le chancelier allemand, ajoutant que "le président Poutine et ses soutiens en subiront les conséquences".

Les regards se tournent donc naturellement vers les instances européennes. Mais Bruxelles n'a jamais fait mystère de ses intentions depuis la découverte de ces atrocités. Dès dimanche, Charles Michel, le président belge du Conseil européen s'est engagé:

"Plus de sanctions et d'aide de l'UE sont en chemin".

Ce lundi, le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, a déclaré devant la presse: "Ces massacres sanglants commis par des Russes, des soldats russes, méritent d'être appelés par leur nom. C'est un génocide, et il doit être jugé".

"C'est pourquoi nous proposons de mettre en place une commission internationale pour enquêter sur ce crime de génocide", a-t-il encore proposé.

Le Bureau des Nations-Unies en charge des Droits de l'Hommes a encore qualifié les événements de "possibles crimes de guerre". Une qualification et un tollé international qui pourraient ouvrir la voie à une instruction du dossier par la Cour pénale internationale, sise à La Haye aux Pays-Bas, compétente en la matière. il faudrait toutefois une saisine par le Conseil de sécurité ou un membre de l'ONU pourvu du statut de Rome - un texte que ni la Russie, ni l'Ukraine n'ont ratifié.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV