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"L'ennemi a changé de tactique": pourquoi la Russie intensifie les attaques de drones sur Kiev

Plus de quinze mois après le début de la guerre en Ukraine, Kiev est la cible très régulière, ce mois-ci, d'attaques de drones russes, semant le chaos dans la capitale. Stratégie de la terreur, affaiblissement des défenses anti-aériennes ukrainiennes, aveu d'impuissance russe... Les experts du conflit révèlent leur interprétation de cette nouvelle tendance.

Nouvelle scène de panique à Kiev. Pour la seizième fois en ce mois de mai, la capitale ukrainienne a subi ce lundi une attaque aérienne de drones russes. Cette fois-ci, les défenses anti-aériennes ukrainiennes ont été alertées en journée, fait extrêmement rare depuis le début du conflit en Ukraine.

Après les bombardements nocturnes, qui n'ont pas causé de dégâts majeurs dans la capitale, les sirènes antiaériennes ont à nouveau retenti dans la matinée, suivies d'une série d'explosions vers 11h10, heure locale. Face à la force et l'intensité des explosions lors de l'interception des missiles russes, de nombreux habitants se sont précipités pour se réfugier dans des abris souterrains, notamment dans le métro.

"L'ennemi a effectué des frappes de missiles contre le territoire ukrainien, pour la deuxième fois en 24 heures", a souligné le commandant en chef de l'armée ukrainienne, Valéry Zaloujny, assurant que tous les projectiles de cette attaque de la matinée avaient été abattus.

D'après le colonel Michel Goya, historien militaire, sur BFMTV ce lundi, le territoire ukrainien fait face, depuis plusieurs jours, à "la plus grande attaque de drones" russes sur ses villes, tandis que la contre-offensive ukrainienne, tant attendue, serait imminente.

Affaiblir la défense ukrainienne

Alors que l'hiver a été marqué par d'importantes attaques russes sur les infrastructures électriques ukrainiennes, le Kremlin semble désormais cibler la capitale ukrainienne et ses défenses anti-aériennes, pour la plupart livrées par les alliés occidentaux de Kiev.

Pour le général Jérôme Pellistrandi, ces attaques de plus en plus intenses sont "un véritable problème" car elles affaiblissent les stocks de munitions utilisées pour détruire les missiles ennemis.

"Toutes ces attaques répétées, tous les soirs contre les villes ukrainiennes, font que le stock de missiles anti-aériens diminue", a-t-il déclaré sur BFMTV.

Cette thèse pourrait expliquer les frappes russes dans la nuit de dimanche à lundi sur "des aérodromes" en Ukraine qui auraient, d'après le ministre russe de la Défense, "détruit" toutes leurs cibles, dont "du matériel aéronautique" et "des installations servant au stockage d'armes et de munitions".

Le Kremlin veut concentrer les efforts ukrainiens loin du front?

Toujours dans l'optique d'entretenir une guerre d'usure, ces attaques de drones russes permettent, d'après certains experts, de concentrer les efforts ukrainiens autour de ses villes et ainsi d'affaiblir la potentielle force de frappe sur le front à l'est.

C'est donc une manière de "détourner les moyens de la ligne de front", a poursuivi le colonel Michel Goya sur notre antenne.

Une interprétation que tempère le général Jérôme Pellistrandi, rappelant que les missiles anti-aériens américains Patriot, sont peu adaptés au front et au mouvement perpétuel.

Quoi qu'il en soit, cette stratégie russe a pour objectif de "reporter le début de cette contre-offensive ukrainienne", a assuré sur BFMTV Tetyana Ogarkova, journaliste et essayiste ukrainienne à Crisis Media Center.

Elle a également ajouté: "Les Russes cherchent à détecter les endroits où se place la défense antiaérienne ukrainienne."

"Une irritation qui monte"

Installée à Kiev, la journaliste subit, comme ses compatriotes, l'augmentation des attaques sur la capitale. "Il y a une irritation qui monte. Mais l'arme psychologique ne marche pas", a-t-elle confié.

"On a du mal à comprendre ces offensives russes qui, hélas, font des victimes, mais ne vont pas entamer le moral de la population ukrainienne et le potentiel militaire", a commenté Jérôme Pellistrandi.

Ce lundi, le chef de l'administration militaire de la ville de Kiev, Serhii Popko, a mis le doigt sur une nouvelle "tactique" russe. "L'ennemi a changé de tactique: après des attaques nocturnes prolongées uniquement, il a frappé une ville paisible pendant la journée, lorsque la plupart des habitants étaient au travail et à l'extérieur", a-t-il clamé.

"À part semer la terreur, je ne vois pas quel est l'objectif militaire de ces frappes en journée", s'est étonné Jérôme Pellistrandi auprès de BFMTV.com.

Le jeu dangereux du Kremlin

L'utilisation croissante de drones par la Russie, souvent livrés à bas coûts par l'Iran, pourrait aussi être un aveu d'impuissance du Kremlin, plus capable d'utiliser des missiles à chaque raid aérien.

C'est ce qu'a expliqué le colonel Michel Goya sur notre antenne. Pour lui, ce type d'attaques signifie que les Russes "n'ont plus beaucoup de missiles", et qu'ils "ne sont plus capables" de faire avec des missiles "toutes les salves de frappes" qu'ils effectuaient "régulièrement" depuis plusieurs mois. Depuis "un certain temps déjà", les Russes "manquent de capacités de frappe", a-t-il estimé.

"Avec des drones, vous n'allez pas paralyser le réseau électrique", a insisté Michel Goya. "Un drone, c'est l'équivalent d'un obus d'artillerie. Les obus d'artillerie, les Russes en utilisent des milliers tous les jours sur la ligne de front", a-t-il fait valoir.

Même si elle n'ont pas fait qu'un seul blessé et des dégâts matériels légers, les deux dernières salves ont choqué les Ukrainiens, à commencer par le couple présidentiel qui s'est ému de vidéos montrant des enfants courir vers un refuge à Kiev.

Le chef du renseignement de défense ukrainien a lui promis des représailles "très bientôt". "Tous ceux qui ont essayé de nous faire peur, rêvant que cela aurait un effet, le regretteront très bientôt. Notre réponse ne tardera pas. Tout le monde verra tout bientôt."

Théo Putavy