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À la veille de l'hiver, l'Ukraine enlisée dans sa contre-offensive

Des militaires ukrainiens en exercice autour de Kiev, le 28 octobre 2023.

Des militaires ukrainiens en exercice autour de Kiev, le 28 octobre 2023. - Anatolii STEPANOV / AFP

Cinq mois après son lancement, la contre-offensive de Kiev est dans une "impasse", a reconnu le commandant en chef des armées ukrainiennes, alors que le conflit évolue vers une guerre d'usure.

Le constat du général en chef des armées ukrainiennes, Valeri Zaloujny, est sans appel. Après avoir en grande partie mis en échec l'"opération spéciale" lancée par Vladimir Poutine le 24 février 2022, l'Ukraine n'a pas atteint les objectifs de sa contre-offensive. Lancée tambour battant il y a cinq mois, la riposte est "dans l'impasse", reconnaît le militaire dans un entretien donné le 4 novembre à l'hebdomadaire britannique The Economist.

Au sud comme à l'est, le front est largement figé. Depuis la libération de Kherson le 11 novembre 2022, le Dniepr sert toujours de séparation naturelle entre les belligérants: les forces ukrainiennes, rive droite, font face aux Russes, rive gauche, et chaque camp pilonne l'autre inlassablement.

L'armée ukrainienne semble avoir réussi à sécuriser plusieurs têtes de pont sur la rive gauche du fleuve mais la question reste de savoir si ces positions sont suffisantes pour lancer des attaques plus ambitieuses.

Couper l'armée russe en deux, un objectif loin d'être atteint

En prenant le village de Robotyné dans la région de Zaporijjia, Kiev pensait pouvoir pousser plus loin, vers les villes de Tokmak et Mélitopol, pour ensuite atteindre la côte de la mer d'Azov. Une opération qui aurait permis de couper l'armée russe en deux, l'un des objectifs les plus ambitieux de la contre-offensive. Mais plus de deux mois plus tard, rien n'a bougé. Les forces ukrainiennes sont bloquées sous le feu ennemi, et l'armée russe a même repris l'initiative, selon Kiev.

La situation à Bakhmout, théâtre d'une des batailles les plus sanglantes du conflit, n'a que peu évolué. Après des mois de combats, menés en grande partie par le groupe Wagner d'Evgueni Prigojine, la Russie a revendiqué en mai la prise de la ville, réduite à l'état de ruine. L'Ukraine n'a pas pour autant abandonné la partie et combat toujours dans les villages limitrophes.

Au total, après six mois d'efforts, l'Ukraine n'a avancé que de 17 petits kilomètres et reconquis seulement 400 km² de territoire, l'équivalent de quatre fois la superficie de Paris.

Un rapport de force insuffisant pour inverser la tendance

Pour le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV, "le rapport de force tactique en faveur des Ukrainiens n'était pas suffisamment élevé". "Et les armes occidentales n'ont pas permis de combler le déficit de moyens et d'hommes", ajoute-t-il.

"Tout est une question de masse", explique Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l’Ifri, qui pointe du doigt le calendrier des livraisons occidentales.

"Si on avait donné tout ce qu'on a donné aux Ukrainiens dès le mois de mars 2022, l'aide occidentale aurait pu avoir un impact très fort sur le terrain. Comme tout est donné au compte-goutte en quantité extrêmement limitée, les Ukrainiens se battent avec une main dans le dos", juge-t-il, alors qu'en face, "on a un adversaire qui a tout une économie de guerre derrière lui".

L'Ukraine s'inquiète de son réservoir de soldats

Dans son entretien à The Economist, le général Zaloujny se préoccupe aussi de la ressource en combattants de son armée. Selon lui, il semble évident que la Russie, avec ses 143 millions d'habitants, est mieux armée pour tenir dans une guerre qui s'annonce longue. "Tôt ou tard, nous nous rendrons compte que nous n’avons tout simplement pas assez de monde pour nous battre", a lancé, fataliste, le commandant en chef des armées ukrainiennes.

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"Volodymyr Zelensky a fait le choix de préserver sa jeunesse en n'envoyant pas les étudiants au front. C'est un pari sur l'avenir que ne fait pas Vladimir Poutine, qui n'a aucun état d'âme à envoyer des jeunes soldats sur le front, particulièrement ceux venus des régions périphériques", souligne Jérôme Pellistrandi.

"L'Ukraine va sans doute devoir faire évoluer sa législation s'ils veulent une ressource humaine suffisante", poursuit Léo Péria-Peigné.

Le besoin d'un "saut technologique"

Pour surmonter ces défis, le général ukrainien évoque le "besoin" d'un "saut technologique", "quelque chose de nouveau" pour inverser la tendance. En effet, à ce stade de la guerre, "le niveau technologique de l’armement utilisé de part et d’autre est tel que sur le terrain, les troupes se neutralisent", analyse-t-il.

Les experts s'accordent à dire qu'un déploiement massif d'avions de combat F-16 pourrait représenter ce "saut technologique" à même de faire pencher la balance en faveur de Kiev. Mais les premiers appareils américains, réclamés de longue date par Kiev, n'arriveront sur le front que l'été prochain, après une longue et indispensable formation des pilotes ukrainiens.

L'Ukraine réclame par ailleurs à ses alliés beaucoup plus d'obus, ainsi que des engins de "bréchage" pour percer les redoutables lignes de fortifications russes, faites de "dents de dragon", de champs de mines et autres fossés.

L'armée russe continue de subir de lourdes pertes

Si l'échec ukrainien est incontestable, il n'est pas synonyme de succès côté russe. Bien au contraire. Depuis la mi-octobre, les forces armées de Vladimir Poutine s'acharnent sur Adviidka, à quelques kilomètres de Donetsk, sans parvenir à prendre cette cité industrielle. Malgré un déluge de feu et quelques reculs, les autorités ukrainiennes affirment tenir bon.

"La Russie est en train de briser le potentiel offensif qu'elle avait reconstitué. Son armée subit des pertes humaines et matérielles qu'on n'avait pas vues depuis sur les offensives de février dernier sur Vouhledar", ajoute Léo Péria-Peigné.

Qu'attendre dès lors pour la suite, et à l'approche de l'hiver? "On s'oriente vers un gel de la ligne de front, avec toujours des combats localisés et violents pour épuiser l'adversaire", anticipe le général Jérôme Pellistrandi. "L'armée ukrainienne va sans doute devoir repasser en position défensive pour reconstituer ses forces".

Volodymyr Zelensky affiche son optimisme

La population ukrainienne se prépare elle à un hiver rigoureux qui risque d'être, comme l'an dernier, marqué par les coupures énergétiques. "Les frappes russes se multiplieront contre les installations de production d’électricité, contre le réseau. Nous devons être prêts à cela", avait averti Volodymyr Zelensky le 15 octobre dernier.

Le président ukrainien, qui regrette que le conflit au Moyen-Orient détourne l'attention internationale de l'Ukraine, continue d'afficher son optimisme. "Personne ne croit en notre victoire autant que moi", déclarait-il au Time fin octobre.

"Le temps a passé aujourd'hui et les gens sont fatigués (...) Mais nous ne sommes pas dans une impasse", a-t-il encore martelé samedi 4 novembre, quitte à contester les récentes déclaration de son commandant en chef.

"Pas prêt" à des discussions avec la Russie, le dirigeant ukrainien persiste et signe: son armée doit "avancer plus rapidement" et "frapper de manière inattendue" la Russie.

François Blanchard