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La surdité menace le vieux couple franco-allemand

La France de François Hollande et l'Allemagne d'Angela Merkel offrent ces derniers mois un spectacle déroutant pour leurs partenaires européens, avec la circonstance aggravante que la crise de la zone euro ne laisse pas au tandem le temps de se rabibocher

La France de François Hollande et l'Allemagne d'Angela Merkel offrent ces derniers mois un spectacle déroutant pour leurs partenaires européens, avec la circonstance aggravante que la crise de la zone euro ne laisse pas au tandem le temps de se rabibocher - -

par Yves Clarisse PARIS (Reuters) - C'est l'histoire d'un vieux couple qui est parvenu à s'entendre pendant plus de cinquante ans malgré de...

par Yves Clarisse

PARIS (Reuters) - C'est l'histoire d'un vieux couple qui est parvenu à s'entendre pendant plus de cinquante ans malgré de multiples chamailleries et des intérêts souvent diamétralement opposés, mais dont la surdité rend désormais le dialogue très difficile.

La France de François Hollande et l'Allemagne d'Angela Merkel offrent ces derniers mois un spectacle déroutant pour leurs partenaires européens, avec la circonstance aggravante que la crise de la zone euro ne laisse pas au tandem le temps de se rabibocher, comme cela s'est souvent fait dans le passé.

"Il était une fois, comme on dit dans les fables, la France et l'Allemagne...", a récemment déclaré au Monde le président du Conseil italien, Mario Monti, qui s'est dit prêt à "faciliter l'harmonie entre la France et l'Allemagne" qu'il juge d'un "intérêt vital pour l'Europe entière".

Il aura fort à faire, tant il est vrai que Berlin et Paris ont, ces derniers mois, semblé ne plus se comprendre.

"L'histoire de l'euro, comme celle de l'UE elle-même, est celle du marchandage franco-allemand", écrit Charles Grant, directeur du Centre pour les réformes européennes (CER), un think tank britannique favorable à l'intégration européenne.

"La déconnexion actuelle entre Paris et Berlin déstabilise l'euro. A long terme, l'euro ne tiendra pas sans un grand marchandage entre la France et l'Allemagne", ajoute-t-il dans cette analyse en le jugeant "impossible" pour le moment parce que "Merkel et Hollande ne se font pas confiance".

Vue de Paris, l'Allemagne, forte de ses succès économiques, est en train d'étrangler l'Union européenne par ses diktats sur la réduction des déficits et d'imposer à des pays endettés une purge qui risque fort de tuer le malade et la zone euro.

"AVEUGLEMENT IDÉOLOGIQUE"

Le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui avait pendant la campagne présidentielle accusé l'Allemagne de "mener une politique à la Bismarck", a récidivé à la mi-juin.

"L'austérité imposée par la politique idéologique de la droite allemande est un énorme problème, puisque c'est cette politique qui a conduit en récession sept pays de la zone euro sur 17", a-t-il dit. "Certains dirigeants européens, Madame Merkel en tête, sont frappés d'aveuglement idéologique."

Simon Tilford, chef économiste du CER, n'est pas loin de penser la même chose et met la fermeté allemande sur le compte d'un sentiment d'invulnérabilité qu'il juge dangereux, dans la mesure où l'Allemagne souffrirait beaucoup d'une crise de la zone euro dans laquelle sombreraient l'Espagne et l'Italie.

"En Allemagne, la plus grande économie de l'union monétaire, il y a un curieux sens d'invulnérabilité. Pour beaucoup d'Allemands, y compris beaucoup de hauts dirigeants politiques, la crise semble être le problème des autres", estime-t-il.

"Sans une mutualisation des risques, l'euro s'effondrera, avec des effets dévastateurs pour les exportations allemandes.

Vue de Berlin, la France est un pays qui vit dans l'illusion qu'un hypothétique retour de la croissance permettra d'éviter de douloureuses réformes structurelles, notamment du marché du travail, et des coupes claires dans les dépenses publiques pour parvenir à son premier budget en équilibre depuis 1974.

Le dialogue semble presque impossible sur tous les dossiers.

Ainsi du débat sur les transferts de souveraineté, préalable selon l'Allemagne à la solidarité financière qu'on lui demande d'accepter pour sauver les pays à risque, alors que la France prône que chaque pas vers la solidarité soit suivi - mais pas précédé - d'un approfondissement de l'intégration.

"Lorsque la solidarité est nécessaire, il faut qu'il y ait également un contrôle", a dit Angela Merkel la semaine dernière à Rome après une réunion des quatre poids lourds de la zone euro - l'Italie et l'Espagne avaient rejoint la France et l'Allemagne pour cette "première", signe de faiblesse franco-allemande.

A ses côtés, François Hollande l'a immédiatement corrigée : "Il ne peut pas y avoir de transfert de souveraineté s'il n'y a pas d'amélioration de la solidarité".

LA CARTE DE CRÉDIT ET LE CODE

Le même son discordant accompagne le débat sur le lancement d'euro-obligations pour mutualiser la dette dans la zone euro.

Les responsables allemands ne l'excluent pas comme couronnement de l'intégration, lorsque les Etats membres de la zone euro auront assaini leurs comptes, fait preuve de leur orthodoxie budgétaire et délégué à une instance supranationale le pouvoir de leur dicter des choix s'ils dérapent.

Mais pas question, dit Angela Merkel, de mettre en commun des pommes saines et pourries, ce qui accroîtrait les taux d'intérêt payés par Berlin pour se financer, surtout que la Cour constitutionnelle de Karlsruhe veille au grain, un élément fondamental qui ne semble guère pris en compte à Paris.

François Hollande continue pourtant à poser cette revendication comme une perspective, mais "pas à dix ans".

"La France, dans sa vision du monde, ne veut parler que de partage de la responsabilité", résume un responsable allemand. "Angela Merkel dit très simplement : 'on ne peut pas nous demander la carte de crédit et le code qui va avec'."

La discussion sur le "gouvernement économique" symbolise cette capacité à interpréter des notions de manière différente.

Bien avant le lancement de l'euro, au milieu des années 1990, la France s'est lancée dans une bataille pour équilibrer l'Union économique et monétaire où, face à une Banque centrale européenne farouchement indépendante, on ne trouve pas de "contrepoids" politique pour gérer l'euro.

L'Allemagne s'y est toujours opposée mais, dans la crise, Angela Merkel a fini par accepter à l'insistance de Nicolas Sarkozy la création de ce "gouvernement" composé des dirigeants européens réunis à intervalles réguliers pour piloter l'euro.

"Mesurez le chemin parcouru !", se réjouit-on à l'Elysée.

TOUS COLBERTISTES

Or, pour les Français, il s'agit surtout de faire pression sur la BCE, un tabou en Allemagne où l'on a accepté de sacrifier le Mark qu'à la condition expresse que l'institut de Francfort soit aussi indépendant que la Bundesbank.

"Tous les Français sont des colbertistes", se lamente un responsable allemand, rappelant que Jean-Baptiste Colbert, un des principaux ministres de Louis XIV, promouvait une politique économique interventionniste toujours vivace en France.

Pour Berlin, le gouvernement économique d'une zone euro qui lie le destin de ses membres, c'est de pouvoir donner son avis sur un pays qui prendrait des décisions nocives pour son économie et, par ricochet, pour toute la zone.

"Les Français disent qu'ils veulent un gouvernement économique, ce qui suppose qu'on puisse dire des choses sur les retraites ou la fiscalité. On a le droit de regarder dans le jardin de l'autre pour demander au voisin ce qu'il fait puisque c'est notre jardin commun", souligne un responsable allemand.

Pas dans la vision française.

Quand le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, a exprimé à la mi-juin son scepticisme quant à la décision de la France de rétablir l'âge de la retraite à 60 ans pour certaines personnes entrées tôt dans le monde du travail, estimant qu'elle ne correspondait pas aux orientations européennes, il s'est attiré les foudres de son homologue français, Pierre Moscovici.

"En ce qui concerne les propos de monsieur Schäuble, je serai extrêmement bref : je ne fais jamais de commentaire sur la politique qui est menée en Allemagne, voilà", a-t-il dit.

L'attitude à adopter face à l'inflation, qui est liée à la vision du rôle de la BCE, continue en outre à opposer les deux rives du Rhin dans un dialogue de sourds.

La conscience collective allemande reste traumatisée par l'hyperinflation des années 1920 et c'est précisément pour cette raison que la mission première de la Bundesbank, puis de la BCE, est d'assurer la stabilité des prix.

LA PHOBIE DE L'INFLATION

Pour la France, l'expérience de l'inflation était et reste très différente, nombre de ménages ayant acheté leur maison ou leur appartement dans les années 1970 ou 1980 à bon compte grâce à des prêts à taux fixe dont les traites étaient rognées par la hausse des prix engendrée par les chocs pétroliers.

C'est ce qui explique pourquoi le ministre français du Budget, Jérôme Cahuzac, a pu dire mardi sur BFM TV et RMC , qu'il fallait que "l'Allemagne cesse de fantasmer l'inflation", qu'elle "arrive à vaincre cette phobie ou cette crainte qu'elle a héritée de l'Histoire."

Allemands et Français butent aussi sur les mots et des perceptions psychologiques très différentes.

L'Allemagne ne comprend pas que l'on rejette la "règle d'or" prévue dans le traité de discipline budgétaire conclu en mars dernier par 25 des 27 pays de l'UE et dont François Hollande a longtemps exigé la renégociation avant de dire du bout des lèvres que la France pourrait le ratifier si ses revendications sur la croissance étaient satisfaites dans un texte séparé.

Les socialistes, après avoir refusé pendant la campagne un tel carcan interdisant les déficits, semblent prêts à aller dans ce sens mais à reculons, ce que ne comprend pas Berlin s'agissant d'une règle simple de "bon père de famille".

Angela Merkel attend en outre toujours que la France mette en oeuvre des réformes structurelles et de véritables coupes dans les dépenses publiques, comme l'a fait l'Allemagne.

UNE ENTENTE OBLIGATOIRE

"Quand on en parle aux Français, ils nous rétorquent que la précarité a augmenté en Allemagne. C'est vrai, mais le taux de chômage est bien moindre en Allemagne et 25% des jeunes sont exclus du marché du travail en France", explique un diplomate.

"Qu'ils fassent les réformes mieux que nous, mais qu'ils les fassent !", résume-t-il.

Paris et Berlin retrouveront-ils un langage commun ?

Les responsables européens n'en doutent pas, comme ils n'hésitent pas à parier sur un accord au Conseil européen de Bruxelles, jeudi et vendredi, même si sa qualité n'est pas garantie : tous ont déjà vu le même film.

Les responsables allemands mettent les difficultés actuelles sur le compte d'une très longue campagne électorale - neuf mois avec la primaire d'investiture socialiste - qui a obligé le candidat socialiste à prendre des positions fermes.

"Les esprits ont été mis à l'épreuve pendant la campagne", souligne l'un d'eux.

Cela explique des irritations de part et d'autre : Angela Merkel, soutien de Nicolas Sarkozy, a refusé de recevoir François Hollande pendant la campagne et le président français a accueilli à l'Elysée les ténors de l'opposition social-démocrate allemande, ce qui a été perçu à Berlin comme une tentative de contournement et une volonté de constituer un front anti-Merkel.

Mais à Paris comme à Berlin, on ne doute pas que les deux dirigeants finissent pas s'entendre.

"Pour Sarkozy, on disait : ils sont trop différents, ça ne marchera jamais. Il y a eu des agacements, ça a pris du temps avant que les deux parviennent à travailler ensemble, mais ils y sont parvenus", explique-t-on à Berlin. "C'est du déjà vu."

"Les deux dirigeants sont des pragmatiques, ils ne veulent pas se profiler à travers un conflit", ajoute-t-on.

Un responsable français qui a assisté à la naissance de très nombreux compromis européens entre les deux capitales confirme cette prédiction : "C'est du classique franco-allemand."

Thomas Klau et Ulrike Guérot, des chercheurs du Conseil européen pour les relations étrangers (ECFR), un think tank multinational, ne doutent pas que Paris et Berlin se retrouveront in fine parce que les enjeux sont trop élevés.

"En dépit des postures des deux côtés, les contours d'un nouvel accord au sein de la zone euro pour rééquilibrer l'austérité avec des mesures pour relancer la croissance sont déjà visibles", estiment-ils, prônant ensuite une véritable avancée fédéraliste qui permettrait la création d'une Union politique.

Edité par Gilles Trequesser