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Europe

L'Ukraine est divisible en deux

Des manifestants portant des icônes sont agenouillés face aux policiers anti-émeutes, le 24 janvier, à Kiev.

Des manifestants portant des icônes sont agenouillés face aux policiers anti-émeutes, le 24 janvier, à Kiev. - -

Cela commence à être connu: un projet de partition de l'Ukraine émerge, ses partisans agissent dans la discrétion. Ce pays tout en longueur est-ouest est composé humainement de quatre zones, et certains dirigeants russes et ukrainiens ne voudraient-ils pas isoler la partie trop frondeuse afin de mieux garder le reste?

Tout d'abord, les zones: l'Ouest (Lviv, et sa province de Galicie), Odessa (ville de la Mer Noire à la personnalité cosmopolite, autrefois juive, et certainement plus russifiée qu'ukraïnisée), la Crimée (russe et tatare), l'Est (Karkhov, le bassin du Donvass, et les rives du fleuve Dniepr). La partie occidentale de l'Ukraine – la Galicie – est la plus "ukrainienne" de toutes. C'est à Lviv (Lvov ou encore Lwow dans les manuels plus anciens), ancienne ville austro-hongroise (Lemberg) puis polonaise, que la population est la plus purement ukrainienne et que la langue ukrainienne, qui se situe schématiquement entre le polonais et le russe, a toujours prévalu contre le russe. Religieusement aussi, ces Galiciens sont gréco-catholiques, c'est-à-dire qu'ils ont des rites orthodoxes mais reconnaissent l'autorité du pape à Rome! Le problème réside dans la définition de Kiev: centrale, est-elle ukrainienne ou russophile?

À la chute de l'Empire tsariste, la partie occidentale de l'Ukraine – la Galicie – obtint son indépendance sous divers contours géographiques instables et finit par succomber aux Soviétiques d'un côté et aux Polonais de l'autre. L'histoire balaya cet éphémère État.

Aujourd'hui, la partition est l'idée qui consiste à créer deux Ukraine: une à l'Ouest, la vraie la pure, une à l'Est, la russifiée russophile.

Cette idée séduit les deux extrêmes. Traditionnellement, les nationalistes à Lviv y pensent sérieusement, afin de se retrouver entre Ukrainiens galiciens purs. Mais voici que le camp pro-russe y pense discrètement: sacrifier cet Ouest, l'expulser, avec son église et sa langue et son europhilie, afin de se retrouver entre russophones dans le Centre, en Crimée, à Odessa, et à l'Est, pour devenir à l'instar de la Biélorussie un État vassal de l'État russe.

Ce rêve de russification serait donc beaucoup plus facile sans le boulet nationaliste que constitue Lviv et la Galicie. C'est peut-être en train de devenir le but inavoué du Parti des Régions, et du Kremlin.

Avec une telle partition, des avantages énormes:

– l'Est de l'Ukraine, conçue comme un ensemble économique unique avec la Russie, entrerait en phase avec la Russie, et une majorité de la population serait d'accord. Nul besoin de se rattacher à la Russie, les diverses confédérations imaginées par Poutine suffiraient.

– la Crimée: cette péninsule, transférée en 1954 de la République socialiste fédérative soviétique de Russie à la SSR d'Ukraine, se retrouverait dans l'orbite russe et la puissance navale russe s'en trouverait renforcée. Ainsi, la base navale russe de Sébastopol serait à jamais à l'abri d'un gouvernement ukrainien pro-européen disposé à la démilitariser ou la transférer à l'OTAN.

Quelques désavantages:

– Les habitants autochtones de la Crimée, les Tatars, seraient à convaincre, eux qui montrent des signes de loyauté contradictoires entre Kiev et Moscou.

– la dispute sur la région de Kiev, parfaitement centrale, serait terrible. Tout comme l'idée de transférer la ville de Bruxelles à une future Flandre indépendante serait un casus belli à la fois pour la majorité des Bruxellois (qui refuseraient) et pour la Wallonie généralement, le maintien de Kiev à l'intérieur de la portion pro-russe d'une Ukraine divisée en deux serait un casus belli. Les Kievois s'insurgeraient probablement en faveur de l'Ukraine occidentale, en faveur donc de la Galicie.

Bref, aujourd'hui les ultra-nationalistes de Lviv et de Galicie ne sont plus seuls à vouloir la partition: il y aurait un plan de partition pro-russe. De là à ce que les ultra de Lviv et les comploteurs de Karkhov s'entendent, il n'y a qu'un petit pas à imaginer.

Harold Hyman et journaliste spécialiste de géopolitique