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Immigration: que peut-il ressortir du Conseil européen?

Un migrant derrière la barrière d'un centre d'accueil à Lampedusa, le 4 octobre 2013.

Un migrant derrière la barrière d'un centre d'accueil à Lampedusa, le 4 octobre 2013. - -

C'est un Conseil européen marqué par la tragédie de Lampedusa qui s'est ouvert jeudi à Bruxelles. Quelles décisions peuvent émaner de ce sommet, en matière d'immigration? Éléments de réponse.

Si les dirigeants européens qui se rencontrent jeudi 24 et vendredi 25 octobre doivent discuter protection des données numériques, en pleine affaire d'espionnage par la NSA, l'ombre de Lampedusa plane sur ce sommet. L'immigration s'est invitée au Conseil européen, sous l'effet de l'émotion suscitée par la mort de plus de 300 migrants, dans le naufrage de leur embarcation, à proximité des côtes italiennes.

Mais les spécialistes interrogés par BFMTV.com se montrent assez peu optimistes sur l'issue de ce sommet et l'ampleur des décisions qui vont y être prises.

Comme le souligne Yves Doutriaux, conseiller d’Etat et professeur associé à l’Université Paris I, le sujet est abordé sous la forte pression de l'opinion publique, de la société civile, mais aussi de plusieurs Etats membres. Mais de l'un à l'autre, les intérêts sont très divergents en matière d'immigration, au point, prédit-il, que "la montagne va accoucher d'une souris".

> Les attentes

Les chefs de gouvernement des pays du Sud, confrontés à l'afflux de migrants en Méditerranée -Italie, Malte, Grèce, Espagne et Chypre- vont exiger de leurs homologues plus de solidarité concrète. Le chef du gouvernement italien, Enrico Letta, demande un renforcement de Frontex.

Le Maltais Joseph Muscat, lui, veut que l'UE se dote d'une "stratégie claire". Quant à l'Espagnol Mariano Rajoy, il a demandé mercredi que le contrôle aux frontières soit "un effort partagé par l'ensemble de l'Union". Plusieurs pays du Sud souhaitent également une "politique de retour plus efficace".

Mais au-delà de ces mesures immédiates, les pays du sud de l'Europe demandent aussi des solutions structurelles, et notamment la révision de la règle dite de Dublin II (voir encadré). "Les migrants qui arrivent en Grèce, aussi nombreux que mes concitoyens qui sont au chômage, font peser un lourd fardeau sur mon pays", a ainsi regretté à La Valette (la capitale de Malte) le Premier ministre grec Antonis Samaras.

> Ce qui peut ressortir du Conseil européen

"La réunion des ministres de l'Intérieur, le 8 octobre dernier, n'engage pas à l'optimisme", regrette Pierre Henry, directeur de l'association France terre d'asile. "On a vu à cette occasion que les Etats européens sont incapables de s'entendre et de faire jouer la solidarité entre eux, dans l'accueil des populations. Pourtant, l'enjeu est de taille. Les migrations mortelles dans la Méditerranée ne datent pas d'hier et ne vont pas s'arrêter".

"Les chefs d'Etat vont sans doute adopter la mise en application d'Eurosur. Ils vont sans doute insister sur l'aspect sauvetage en mer", estime également Pierre Henry.

Un avis que partage Yves Doutriaux, pour qui "la montagne va accoucher d'une souris. On va demander à la commission de renforcer les moyens des Etats les plus touchés par le problème, mais en terme de politique européenne, rien ne va changer, on attendra que la passion retombe". Il ne faut pas non plus espérer "revoir Dublin II", affirme Yves Doutriaux, parce que "des pays comme la France et l'Allemagne y sont opposés".

Conclusion, ce qui risque le plus probablement de ressortir du sommet européen, c'est un renforcement des moyens financiers de Frontex, l'agence de surveillance des frontières (voir encadré).

> Quelle est la marge de manœuvre des dirigeants européens?

Le Conseil européen ne prend pas les décisions juridiques, mais il débat et retient des orientations. Il est très rare qu'on y vote. Par ailleurs, analyse Yves Doutriaux, "la marge de manoeuvre budgétaire est limitée. Il est possible que le Conseil européen décide d'un transfert d'un budget à l'autre, car il y a urgence et qu'il faut dire qu'on a fait quelque chose".

"C'est, comme toujours à 28, sur le plus petit commun dénominateur que l'on se met d'accord, à savoir, la sécurité" indique Pierre Henry. Dès lors qu'il s'agit de passer à un volet plus ambitieux, c'est plus compliqué".

"Et puis ce n'est pas en deux jours qu'on va décider d'une politique européenne de l'immigration", conclut Yves Doutriaux. Que ce soit en matière de main-d'oeuvre, d'accueil des étudiants, de régularisations ou de regroupement familial, les décisions sont nationales. Mais avec Schengen, chaque décision en matière de régularisation a des répercussions sur tous les Etats membres.

> Les pistes pour une politique migratoire européenne

Pour Pierre Henry, l'Union européenne devrait accepter de faire évoluer les politiques migratoires, axées uniquement sur la sécurité des frontières extérieures de l'UE et la fermeture des voies d'immigration légale. Au volet sécurité, il faudrait donc ajouter un volet prévention et un volet protection, pour que les migrants arrivant en bateau ne soient pas refoulés. Il s'agit donc de privilégier le sauvetage en mer et la mise à l'abri des personnes. "Un subtil équilibre entre la question de notre sécurité et du respect des droits de l'Homme", souligne Pierre Henry.

Qui dit politique migratoire dit également prévention des migrations. "Le meilleur moyen d'y travailler, c'est de participer à la question du développement", estime Pierre Henry, "mais l'aide au développement des pays du nord vers les pays du sud, ne cesse de diminuer".

"Il ne faut pas oublier que l'Union européenne est le premier donateur du monde vers l'Afrique", tempère Yves Doutriaux, pour qui "il faudrait un formidable effort, un véritable "plan Marshall", pour faire cesser les causes de souhait de départ. Mais c'est une action à très long terme".

Yves Doutriaux est auteur de Les institutions européennes après la crise de l'euro.

|||Les dispositifs européens en matière de migration

Frontex: Agence de surveillance des frontières européennes. Depuis 2005, Frontex aide les Etats qui ont des frontières extérieures et coordonne les activités des gardes-frontières.

Eurosur: Programme de mise en commun des moyens de surveillance électronique aux frontières maritimes. Eurosur n'est pas encore mis en place.

Dublin II: cette règle oblige le premier pays accueillant le réfugié à traiter sa demande d'asile et à pourvoir à ses besoins. La Cour européenne des droits de l'Homme a demandé à suspendre Dublin II, car dans des pays comme la Grèce, où la crise a attisé le rejet de l'étranger, les conditions de leur accueil sont jugées inhumaines et dégradantes.

Magali Rangin