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Guerre en Ukraine: après les combats à proximité de Tchernobyl, quels sont les risques?

Alors que des combats se sont tenus à proximité de la centrale accidentée de Tchernobyl, deux experts font le point sur les risques que cette situation engendre.

Alors que ce vendredi les combats ont gagné Kiev, la capitale ukrainienne, la veille les soldats russes ont pénétré, depuis le Bélarus, le site de l'ancienne centrale nucléaire de Tchernobyl. Des combats ont éclaté avec les forces ukrainiennes et dans la foulée, le président ukrainien a annoncé que les soldats russes étaient en train de prendre le contrôle de la centrale. "Nos soldats donnent leur vie pour que la tragédie de 1986 ne se répète pas", a-t-il déclaré.

Selon un journaliste de la chaîne américaine NBC citant un conseiller du ministère de l'Intérieur ukrainien, une installation de stockage de déchets nucléaires aurait été détruite. Faut-il s'en inquiéter? Ces combats peuvent-ils mettre en danger l'installation et risquer un nouvel accident nucléaire?

Un risque faible?

Pour certains spécialistes, ce risque serait relativement faible. "Personne n'a intérêt à ce que des déchets se retrouvent à l'air libre ou que le site n'émette davantage de radioactivité", modère pour BFMTV.com Jacques Percebois, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie. Il rappelle que la Biélorussie, allié de la Russie, ne se trouve qu'à une dizaine de kilomètres du site. Et que l'arche étanche qui recouvre le réacteur accidenté est solide.

"Certes, elle n'a pas été fabriquée pour résister à un flot de bombes mais elle a tout de même été conçue pour durer un siècle, résister aux tempêtes, aux fortes températures et pèse l'équivalent de trois fois la tour Eiffel. Il fait 100 m de haut, c'est un sarcophage vraiment impressionnant."

L'IRSN précise que le sarcophage et son environnement immédiat "concentrent la majeure partie de l'activité radioactive, dont 200 tonnes de déchets contenant du combustible". Quant à l'éventuelle destruction d'une installation de stockage de déchets, Jacques Percebois, auteur de L'énergie racontée à travers quelques destins tragiques, se veut également rassurant.

"Certains sont stockés dans des tranchées à fond étanche, d'autres dans des casemates en béton installées en surface", explique-t-il. "Il n'est pas impossible que l'une d'entre elles ait été détruite. Mais il faut aussi prendre conscience qu'il y a plusieurs types de déchets. Si certains sont à vie longue, d'autres sont à vie courte et de faible intensité."

Un risque local?

Aujourd'hui, Tchernobyl est une zone encore hautement contaminée mais fantôme. S'il y a toujours sur place des travailleurs qui veillent à la sécurité du site, à son démantèlement et à l'entreposage des déchets ainsi que quelques paysans qui ont décidé de revenir y vivre en toute illégalité, en principe, la vie est formellement interdite dans cette zone d'exclusion de 30 km mise en place après l'accident nucléaire il y a trente-six ans.

"S'il devait y avoir de nouvelles émissions de matières radioactives, le risque serait avant tout local", abonde pour BFMTV.com Yves Marignac, chef du pôle industries nucléaires et fossiles au sein de l'association NégaWatt.

Benjamin Hautecouverture, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste de sécurité internationale, prolifération et questions stratégiques, est du même avis. "Le site de Tchernobyl se trouve à l'intérieur d'une zone d'exclusion très étendue. S'il devait y avoir un nouvel accident nucléaire, les effets seraient probablement atténués de ce fait", pointe-t-il pour BFMTV.com.

Pourtant, ce vendredi, l'agence nucléaire ukrainienne a enregistré une augmentation des niveaux de radiations à Tchernobyl. Mais si les experts n'ont pas communiqué davantage de données, ils estiment cependant que cette hausse serait due à l'activité militaire dans la zone. Ce que confirme Yves Marignac, de l'association NégaWatt.

"C'est probablement lié au passage des blindés russes. Toute cette zone est radioactive, la poussière, les sols. Cette activité militaire a certainement redispersé la radioactivité. Ce qui peut néanmoins présenter un risque pour la population de cette zone d'exclusion, notamment par inhalation."

Un incident indirect?

Mais le risque serait tout de même bien réel. Si les réacteurs ukrainiens "ne sont pas des cibles à ce jour et ne devraient pas le devenir plus tard", ajoute Benjamin Hautecouverture, de la Fondation pour la recherche stratégique, plusieurs risques peuvent être envisagés dans le cadre du conflit en cours.

"Si les réacteurs pourraient résister à plusieurs types de munitions, ce ne serait pas le cas des installations de stockage des combustibles usagés, ou des systèmes de refroidissement", explique-t-il.

Avec la rupture de l'alimentation électrique sur un site ou un défaut de maintenance, le risque serait plus important.

"Même si l'Ukraine a commencé à diversifier ses sources d'approvisionnement en combustible nucléaire depuis quelques années, c'est encore la compagnie russe TVEL qui en fournit la majorité. L'Ukraine est encore aujourd'hui l'un des principaux clients de TVEL."

Un nouvel accident?

Quant aux déchets - qui représentent des millions de mètres cubes répartis selon leur dangerosité - ce n'est pas tant du côté des casemates et du réacteur accidenté que Yves Marignac, de l'association NégaWatt, craint une éventuelle dispersion des matières radioactives. En revanche, ce sont les cinq piscines de stockage qu'il juge vulnérables "car moins bien protégés que le réacteur avec son arche".

Une explosion affectant une des piscines "ne serait pas de nature à provoquer une nouvelle catastrophe" de la même ampleur que celle de 1986 mais pourrait tout de même, selon lui, "engendrer une dispersion nouvelle de radioactivité et une contamination importante à l'échelle régionale".

Difficile de s'avancer davantage: ce type de scénario dépend des conditions météorologiques mais aussi de la hauteur de projection des matériaux nucléaires. Mais au-delà de Tchernobyl, Yves Marignac s'interroge sur la sécurité des autres centrales du pays. L'Ukraine compte 15 réacteurs en activité, répartis sur quatre sites.

"Certaines sont plus ou moins proches de la ligne de front. Le risque d'un conflit dans les zones où se trouvent les centrales est préoccupant. Une installation nucléaire pourrait être accidentellement touchée par des armes lourdes. Et une telle situation serait d'autant plus compliquée à gérer dans le contexte d'un conflit armé qui pourrait ainsi dégénérer en une nouvelle catastrophe."
https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV