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Espagne

Aide médicale d'État: l'Espagne avait supprimé ce dispositif avant de revenir sur sa décision

Un patient soigné dans un hôpital d'Igualada, en Espagne, le 1er décembre 2020 (photo d'illustration).

Un patient soigné dans un hôpital d'Igualada, en Espagne, le 1er décembre 2020 (photo d'illustration). - Pau BARRENA © 2019 AFP

Les sénateurs ont voté en faveur de la suppression de l'AME, qui permet aux étrangers en situation irrégulière de se soigner en France sous certaines conditions. En 2012, l'Espagne avait pris la même décision mais, lors d'un changement de majorité, a fait volte-face. Une étude a montré une hausse de 15% de la mortalité des personnes concernées.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi immigration, le Sénat a adopté ce mardi 7 novembre la suppression de l'aide médicale d'État (AME), dispositif en vigueur depuis plus de 20 ans permettant aux étrangers sans papiers de bénéficier d'un accès aux soins.

La mesure, soutenue par les sénateurs de droite, prévoit de remplacer l'AME par une "aide médicale d'urgence", "recentrée" sur la prise en charge "des maladies graves et des douleurs aiguës".

Alors que l'Assemblée nationale doit encore ce prononcer sur la mesure, elle peut regarder vers l'Espagne, qui avait mis en œuvre un politique similaire en 2012... avant de revenir dessus quelques années plus tard.

"Tourisme sanitaire" et économies

Dans une tribune publiée au début du mois dans les colonnes du journal Le Monde, 3000 soignants appellent au maintien de l'AME car, selon eux, limiter l'accès aux soins des sans-papiers "aurait pour conséquence directe d'entraîner une dégradation de leur état de santé, mais aussi plus globalement celui de la population toute entière". Ils expliquent s'appuyer sur "l'exemple malheureux de l'Espagne".

En 2012, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy avait décidé de limiter l'accès aux soins des migrants en situation irrégulière dans le pays. La mesure était justifiée par l'idée qu'elle permettrait l'économie de "plus de 500 millions d'euros" et qu'elle éviterait le "tourisme sanitaire", c'est-à-dire le fait de se rendre dans un autre pays pour bénéficier d'un acte médical non disponible ou difficilement accessible dans son propre pays.

En France, la droite la justifie également par les risques d'"appel d'air" et par son coût: environ 1,2 milliard d'euros.

Promesse de campagne du socialiste Pedro Sanchez, cette mesure a été abrogée en Espagne en 2018, lors du retour au pouvoir d'une coalition de gauche. "La santé ne connaît pas de frontières, de papiers d'identité, de permis de travail ou de séjour", avait alors déclaré la ministre de la Santé Carmen Monton.

Hausse de mortalité de 15%

Une étude menée par l'Institut d'économie de Barcelone et l'université Pompeu Fabra publiée en 2018 et intitulée "Les effets mortels de la perte de l'assurance maladie" a montré une augmentation de la mortalité des personnes sans-papiers en Espagne de 15% en moyenne entre 2012 et 2015, les trois premières années de la mesure.

Selon cette étude, la mortalité des sans-papiers et celle des personnes en situation régulière est restée la même entre 2009 et 2012, voire était en diminution. Les chercheurs observent un tournant dès la suppression de l'AME pour le premier groupe.

Les auteurs de l'étude indiquent par ailleurs que ce chiffre de 15% est une estimation minimale d'une réalité. En outre, ce pourcentage augmente avec le temps puisqu'au cours de la troisième année d'étude (2015), la mortalité a même augmenté de 22,6%.

Exclus du dispositif, les mineurs et les femmes enceintes n'ont, eux, pas vu leur mortalité diminuer en Espagne durant ces années.

Une mesure abrogée en 2018

Les scientifiques pointent notamment l'absence de détection des maladies mortelles et l'interruption des traitements pour les malades chroniques. L'impact de la suppression de l'accès universel aux soins médicaux est particulièrement visible sur les décès liés aux cancers, qui sont beaucoup mieux soignés s'ils sont détectés de manière précoce.

De plus, selon le quotidien espagnol El Diario, la mesure du gouvernement Rajoy n'a pas permis de réaliser les économies souhaitées. En effet, il est souligné que les premières économies étaient finalement annulées par des prises en charge trop tardives de pathologies, notamment aux urgences, et donc bien plus coûteuses.

Depuis le décret de 2018, les personnes en situation irrégulière peuvent à nouveau se faire soigner "dans les mêmes conditions que les personnes ayant la nationalité espagnole".

Salomé Robles