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Comment la Crimée est devenue ukrainienne, la petite-fille de Krouchtchev témoigne

Nina Khrushcheva, la petite fille de Nikkita Khrouchtchev, de passage à Paris le 26 février.

Nina Khrushcheva, la petite fille de Nikkita Khrouchtchev, de passage à Paris le 26 février. - -

Un peu d'histoire, et très vite, nous serons au cœur des évènements actuels de la révolution ukrainienne.

La Crimée, péninsule ottomane jusqu'à la fin du 18e siècle puis incorporée dans l'Empire tsariste, faisait partie de la République socialiste fédérative soviétique russe depuis 1921 (fin de la guerre civile). Le statut de la Crimée fut alors intéressant: République soviétique socialiste autonome de Crimée (RSFR, sigle très important). Le mot "autonome" est crucial. Il s'agit d'une espèce d'autonomie interne, un statut spécial, mais moins élevé que celui République soviétique socialiste, et sans droit de sécession. Une république autonome était nécessairement attachée à un grand frère, c'est-à-dire une République soviétique socialiste. Au-dessus de tout ce bel édifice: l'URSS, Union des républiques soviétiques socialistes. C'est en fait très simple.

Donc la Crimée, république soviétique autonome, était attachée à la Russie, lorsqu'après la Deuxième Guerre mondiale, Staline décida de rabaisser son statut à celui d'Oblast, signifiant simple "région", mais toujours dans la Russie. En outre, en 1948, le port de la flotte russe de la mer Noire, Sébastopol, fut administrativement détaché de l'Oblast de Crimée pour être rattachée directement à la RSFSR. Sébastopol n'a alors rien d'Ukrainien. Tout cela fait une poupée russe.

Alors pourquoi donc Khrouchtchev a-t-il transféré l'Oblast de Crimée à l'Ukraine?

Pour fêter le tricentenaire de l'unification Ukraine-Russie, qui scellait l'union indéfectible entre les deux peuples en 1654, (ne nous perdons pas dans la signification divergente de cet évènement côté russe et côté ukrainien), Nikita Khrouchtchev eut une idée: solidifier encore un peu plus cet esprit. Pour comprendre, notons ce que dit sa petite-fille Nina Khrushcheva de passage à Paris le 26 février 2014 (l'orthographe est en anglais, Nina est américaine).

Nina K est professeur à la New School à New York, et a fait ses études à Princeton dès que la perestroïka le lui permit. Elle a grandi en Russie dans une famille frappée d'une discrète relégation politique, et elle a de nombreux souvenirs de Nikita assigné à résidence dans une datcha et où il cultivait son jardin, jusqu'à sa mort en 1971.

Ainsi, pour Nina, son grand-père se targuait d'être ukrainien. Il était né sur la frontière russo-ukrainienne, avait épousé une ukrainienne, mais était quand même russe. Il était surtout communiste. Il a appliqué les pires mesures répressives staliniennes en Ukraine, y compris la famine dirigée. Nina ne sait pas précisément pourquoi Nikita se mut soudainement en méga-bienfaiteur de l'Ukraine. Le plus probable: il aurait pensé qu'administrativement, le rattachement de la Crimée à l'Ukraine était géographiquement et économiquement plus rationnel. Habilla-t-il alors le transfert de l'Ukraine depuis la Russie vers l'Ukraine en "cadeau"? Probable. C'était alors sans grand effet: tout cela restait dans l'URSS, et les frontières internes largement, mais non entièrement, fictives. 

Ce que Nina voit clairement cependant, c'est le présent. Dans cette Russie moderne, l'on réinterprète l'histoire avec passion et sans esprit scientifique: Staline devient un bon gestionnaire, qui obtint des résultats grâce aux travaux forcés! Le transfert de la Crimée devient, en rétrospective, un acte irresponsable. Donc Khrouchtchev n'est plus grand chose. En outre, si Khrouchtchev a "donné" la Crimée à l'Ukraine, c'est qu'il était ivre! Or, rappelle Nina, Nikita n'était pas un buveur. La décision du "don" s'est faite avant tout par rationalité, mais à huis clos et sans aucune impulsion populaire, ce que les réécriveurs de l'histoire n'aiment pas trop admettre.

Un transfert de 1954 qui enflamme l'Ukraine de 2014

Aujourd'hui, les évènements de 1954 enflamment les esprits. La Crimée transférée avec insouciance à l'Ukraine, pour faire plaisir à un ivrogne sans envergure, Nikita Khrouchtchev, voilà la nouvelle vérité officielle qui émerge de la machine à penser en Russie.

Pourtant, dans le cas de la Crimée, la posture des pro-russes n'est pas dénuée de mérite. En 1990, la Crimée a obtenu, à quelques mois de la dissolution de l'URSS, de redevenir une République soviétique socialiste autonome dans l'Ukraine. Avec l'indépendance de l'Ukraine, la Crimée maintient un statut de République autonome de Crimée à l'intérieur de l'Ukraine! Dans tout cela, le statut de Sébastopol actuel est des plus flous! Ville autonome dans une République autonome, et toute entière tournée vers l'accueil de la Flotte Russe? L'enquête continue, vous aurez des nouvelles.

Il y a fort à parier que si les habitants pro-russes de Sébastopol hissent des océans de drapeaux russes, c'est qu'ils sentent que l'avenir leur appartient. On leur parle, on leur souffle des choses depuis Moscou. Imaginons quelles choses: le cas de Sébastopol partie intégrante de la Russie est défendable.

Harold Hyman et spécialiste géopolitique