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Etats-Unis: la Cour suprême perplexe face à la déchéance de nationalité

La Cour suprême américaine à Washington, photographiée le 6 avril 2017

La Cour suprême américaine à Washington, photographiée le 6 avril 2017 - MANDEL NGAN, AFP

Le cas de deux serbes de Bosnie naturalisés américains en 1998 mais récemment déchus de leur nationalité après la découverte de leurs activités pendant la guerre de Bosnie, fait débat aux Etats-Unis. La cour suprême américaine estime que la moindre infraction, aussi légère soit-elle, pourrait désormais remettre en cause une naturalisation.

Ratko Maslenjak a-t-il tué des musulmans à Srebrenica? Il était en tout cas membre d'une force serbe impliquée dans le massacre, ce que sa femme a volontairement tu pour demander l'asile familial aux Etats-Unis, un mensonge lourd de conséquences sur lequel s'est penchée la Cour suprême. Ayant obtenu la nationalité américaine, Divna Maslenjak en a été ensuite déchue. Elle et son mari, qui vivaient jusqu'à récemment dans l'Ohio, se sont retrouvés illégaux et ont été expulsés en octobre vers la Serbie.

La réponse finale qu'apportera la justice à leur dossier est susceptible d'avoir un effet pour des millions d'immigrants sur lesquels pèse l'épée de Damoclès de la révision de leur droit d'asile. Membres de la minorité serbe, les Maslenjak ont grandi en ex-Yougoslavie dans un bourg à majorité musulmane qui fait aujourd'hui partie de la Bosnie-Herzégovine.

Membre de l'Armée de la République serbe de Bosnie

Leur saga américaine débute en avril 1998 à Belgrade: Divna rencontre des agents de l'ambassade des Etats-Unis, à qui elle assure qu'il serait dangereux pour sa famille de revenir vivre dans leur village bosniaque. Elle ajoute que son époux redoute des représailles pour ne pas avoir servi dans l'armée, en s'étant tenu à l'écart de la Bosnie de 1992 à 1997. La famille se voit accorder en 1999 un statut de réfugié, puis est admise en 2000 aux Etats-Unis. Sept ans plus tard, Divna devient même américaine.

En fait, la famille au complet est bien restée en Bosnie durant la guerre, et Ratko a fait partie de l'Armée de la République serbe de Bosnie, responsable de tueries dont la plus atroce est l'assassinat en 1995 de 8.000 hommes et adolescents bosniaques dans la région de Srebrenica. Quand ces mensonges sont découverts par les autorités américaines, Divna ne les nie pas. Mais, se défend-elle, ils n'ont pas eu d'incidence, le statut de réfugié leur ayant été octroyé car ils risquaient d'être persécutés par des musulmans bosniaques. Ce qui est une réalité.

Diminution de "la valeur inestimable de la nationalité"

Le gouvernement américain rétorque que peu importe la pertinence des mensonges, le seul fait que ce soient des contre-vérités suffit à révoquer une naturalisation. Quelque 780.000 personnes demandent chaque année la nationalité américaine. Chacune est censée mentionner la liste de ses éventuelles infractions passées, y compris mineures et y compris non sanctionnées.

Mercredi à la Cour suprême, plusieurs des neuf Sages ont semblé préoccupés par l'immense pouvoir dont jouissait l'exécutif pour révoquer une naturalisation à la suite d'un simple oubli, volontaire ou non. "Il me semble que cela diminue la valeur inestimable de la nationalité", a estimé le magistrat Anthony Kennedy.

Le juge Stephen Breyer a pris l'exemple du port interdit d'un banal canif porte-clés, le président de la Cour John Roberts a cité un petit excès de vitesse au volant, la magistrate Sonia Sotomayor a elle imaginé un réfugié ne mentionnant pas dans sa demande d'asile un surnom d'enfance qu'il n'aimerait pas... autant de peccadilles qui pourraient théoriquement remettre en cause une naturalisation.

6,6 millions de personnes naturalisées en 10 ans

"La naturalisation est le plus grand honneur que les Etats-Unis puissent accorder à une personne", a répondu Robert Parker, l'avocat du gouvernement. "Et les personnes qui demandent cet honneur doivent scrupuleusement respecter chacune des règles de la procédure".

"Si le gouvernement veut démontrer qu'une personne a obtenu de façon irrégulière la nationalité américaine, il doit au moins prouver que la fausse déclaration a permis cet objectif", a de son côté soutenu Christopher Landau, l'avocat de Divna Maslenjak.

Plus de 6,6 millions de personnes ont été naturalisées américaines ces dix dernières années, rappelle la juriste Jennifer Chacon. "Selon ce que décidera la cour, toutes courront un risque possible d'amende, d'emprisonnement ou de déchéance de nationalité en cas de fausse déclaration", a-t-elle commenté. La décision sera rendue d'ici fin juin.

En attendant, le gouvernement de Donald Trump a manifesté son intention d'avoir davantage recours aux déchéances de nationalité dans le renforcement de sa politique judiciaire. Alors en campagne, le futur président avait menacé de sanctionner ainsi ceux qui brûleraient le drapeau américain.

G.D. avec AFP