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Covid-19: l'OMS accusée d'avoir retiré un rapport critiquant la gestion de la crise italienne

La barre des 60000 morts dus au coronavirus a été dépassée en Italie.

La barre des 60000 morts dus au coronavirus a été dépassée en Italie. - Miguel Medina - AFP

Selon plusieurs mails qu'a pu se procurer le Guardian, l'OMS a retiré à la demande d'un haut-fonctionnaire italien un rapport faisant état d'un manque de préparation de l'Italie face à la pandémie.

L'OMS est accusée d'avoir conspiré avec le ministère italien de la Santé pour retirer un rapport révélant la mauvaise gestion de l'épidémie de coronavirus en Italie au début de la crise sanitaire, rapporte Le Guardian.

Le document, intitulé "Un challenge sans précédent: la première réponse italienne au Covid-19", avait été écrit par le scientifique de l'OMS Francesco Zambon ainsi que par une dizaine d'autres collègues européens. Un rapport financé par le gouvernement koweïtien avec pour objectif de fournir des informations importantes aux pays risquant d'être touchés à leur tour par la pandémie.

Retiré à la demande d'un haut-fonctionnaire italien

Publié dans un premier temps sur le site de l'OMS le 13 mai dernier, le rapport est retiré le jour suivant à la demande de Ranieri Guerra, l'assistant du directeur général des initatives stratégiques à l'OMS et ancien directeur général de la santé préventive au sein du ministère italien de la Santé entre 2014 et 2017.

Et pour cause: le document révèle que le plan italien de crise en cas d'épidémie n'avait pas été revu depuis 2006 ce qui a eu pour conséquence une réponse hospitalière "improvisée, chaotique et créative" aux premiers malades du coronavirus. Les premières directives officielles ont par ailleurs pris du temps à être communiquées selon le rapport.

L'agence de l'ONU pas coopérative avec les enquêteurs

Ce plan italien de crise périmé est une pièce cruciale dans les enquêtes préliminaires menées par des procureurs de Lombardie, la région italienne la plus touchée par la première vague, chargés d'enquêter sur la possible négligence des autorités. Les investigations s'appuyent également sur un rapport réalisé après la première vague par l'ancien général italien Pier Paolo Lunelli, et qui conclue que près de 10.000 morts liés au Covid-19 sont imputables au manque de mesures antipandémie prises.

Les enquêteurs ont déjà convoqué à plusieurs reprises Francesco Zambon en vue de l'interroger, sans succès.

"Lorsque j'ai reçu les premières convocations, je les ai rapportées au bureau légal de l'OMS et ils m'ont rapidement informé que je ne pourrai pas m'y rendre car j'étais protégé par l'immunité, en dépit du fait que je souhaitais m'y rendre car j'avais des choses à dire", a expliqué Francesco Zambon au Guardian.

L'OMS a en effet demandé à ce que lui et les autres auteurs du rapport bénéficient d'une immunité pour empêcher tout témoignage et que les enquêteurs se tournent pour toute demande vers le ministère italien des Affaires étrangères.

"Des inexactitudes et des incohérences"

Francesco Zambon affirme aussi qu'il aurait été menacé par Ranieri Guerra de perdre son poste à moins qu'il ne revienne sur le passage dans le rapport indiquant que le plan italien était obsolète. Ranieri Guerra, qui fait également partie de la "task force" italienne contre le Covid-19, a quant à lui été entendu par les enquêteurs en novembre dernier sans que l'on sache les tenants et aboutissants de cette audition.

Malgré ses plaintes pour menaces et risques portés à la transparence et la neutralité de l'organisation, Francesco Zambon indique qu'aucune enquête interne n'a été menée par l'OMS. L'agence onusienne s'était jusqu'ici bien gardée d'expliquer pourquoi elle avait retiré le rapport de son site, jusqu'à la semaine dernière où elle affirmé dans un communiqué que celui-ci "contenait des inexactitudes et des incohérences".

"Le rapport ne critiquait pas le gouvernement italien mais soulignait les criticités auxquelles il a dû faire face dans la gestion de la pandémie, à commencer par le plan de crise qui n'a été que "reconfirmé" et pas mis à jour en 2017", explique Francesco Zambon. "L'équipe a vérifié cela et a découvert que tous les plans de crise sortis après 2006 n'étaient que des copier-coller, rien n'avait changé dans le texte".

L'OMS défend son "objectivité et son indépendance"

Un mois avant la publication du rapport, Francesco Zambon avait envoyé une note récapitulative à Ranieri Guerra qui l'avait partagée au ministre de la Santé Roberto Speranza. Le Guardian affirme avoir eu accès par la suite à des mails envoyés à Francesco Zambon par Ranieri Guerra et le directeur de l'OMS Europe faisant état d'un accord conclu avec le ministère italien de la Santé pour passer le rapport sous silence.

Dans un communiqué adressé au journal britannique, l'OMS défend son "objectivité et son indépendance" qui l'oblige selon elle à ne pas impliquer ses membres dans des "affaires judiciaires au niveau national". De son côté le ministre italien des Affaires étrangères Luigi di Maio a fait savoir à l'agence qu'il était opposé à toute forme d'immunité de ses membres dans le cadre de la crise sanitaire alors que le pays a récemment atteint les 60.000 morts du Covid-19 depuis le début de la pandémie.

Hugues Garnier Journaliste BFMTV