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Ben Laden discrédité par le "printemps arabe"

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par Alistair Lyon BEYROUTH (Reuters) - Un temps considéré par certains Arabes comme fer de lance de la lutte contre l'"impérialisme" américain et...

par Alistair Lyon

BEYROUTH (Reuters) - Un temps considéré par certains Arabes comme fer de lance de la lutte contre l'"impérialisme" américain et israélien, Oussama ben Laden, dont le recours à une violence aveugle n'a jamais séduit les masses, a en outre été pris de court par le "printemps arabe".

S'il restera longtemps l'incarnation du terrorisme islamiste, le chef de file d'Al Qaïda semblait déjà appartenir au passé.

"Ben Laden n'est plus qu'un mauvais souvenir", résume Nadim Houry, représentant de l'organisation Human Rights Watch à Beyrouth. "La région est passée à tout autre chose avec les soulèvements de grande ampleur qui bouleversent la donne."

Les attentats commandités par le chef de file d'Al Qaïda, en premier lieu ceux du 11 septembre 2001, ont pu passer aux yeux de certains comme une revanche brutale sur les humiliations infligées par les Etats-Unis, par Israël et par leurs propres dirigeants soutenus par Washington.

A travers sa "guerre sainte", Ben Laden s'efforçait d'inspirer de nouvelles vocations pour amener les musulmans à se débarrasser eux-mêmes de ces régimes pro-occidentaux, notamment dans son Arabie saoudite natale.

Son engagement dans le djihad tenait pour l'essentiel à la présence d'"infidèles" en terres musulmanes, comme celle de l'armée russe en Afghanistan, des Américains en Arabie saoudite lors de la première guerre du Golfe, en 1991, ou des Israéliens en Palestine.

Reste que les actes meurtriers de ses adeptes n'ont jamais suscité l'adhésion des foules. Al Qaïda a, qui plus est, sévèrement souffert de l'engagement des gouvernements arabes dans la lutte antiterroriste menée par les puissances occidentales.

"La défiance dont Ben Laden a fait sa marque de fabrique a probablement suscité la curiosité dans un premier temps, mais son attrait n'a pas résisté à des actes d'une violence insensée", poursuit Nadim Houry.

"BLESSURE CORPORELLE"

C'est en Irak que le phénomène a été le plus marquant. La mort de musulmans dans les attentats suicide commis par Al Qaïda et dans les représailles de la majorité chiite ont finalement fait basculer de nombreux sunnites dans le camp américain.

Les actes terroristes aveugles commis en Arabie saoudite entre 2003 et 2006 sont également venus à bout de la sympathie que l'organisation pouvait y inspirer.

L'idéologie prêchée par Ben Laden et de son bras droit, l'Egyptien Aïmane al Zaouahri, ne rencontrait donc plus guère d'échos au Moyen-Orient, lorsque les soulèvements démocratiques partis de Tunisie lui ont porté un nouveau coup sévère.

"Pendant un certain temps, l'opinion publique arabe voyait en Ben Laden l'espoir d'en finir avec cette espèce de discrimination, la façon dont les occidentaux traitaient les pays arabes, mais ces nations disent désormais: 'Nous voulons changer les choses par nous-mêmes, nous n'avons besoin de personne pour parler en notre nom", analyse Mahdjoub Zoueïri, un universitaire qatari.

La disparition de Ben Laden, poursuit-il, n'affectera qu'une minorité toujours convaincue de la nécessité de frapper l'Occident le plus fort possible.

"La majorité des musulmans et des pays arabes ont fait leur choix. Ils vont vers des sociétés civiles modernes. Les gens croient au changement progressif, civique. Ils récusent la violence y compris contre les dirigeants qui les ont opprimés", ajoute Mahdjoub Zoueïri.

AL QAÏDA EN CRISE

Après le renversement à la mi-janvier de Zine Ben Ali en Tunisie, les démocrates égyptiens ont obtenu celui d'Hosni Moubarak. Le mouvement s'est ensuite propagé au Yémen, à la Syrie et à la Libye, où il s'en mué en guerre civile.

Ces soulèvements semblent avoir réduit la nébuleuse islamiste au silence. Al Qaïda dans la péninsule islamique, sa branche la plus active, n'a pas revendiqué la moindre action depuis le début du soulèvement contre le président yéménite Ali Abdallah Saleh.

Pour Martin Indyk, ancien secrétaire d'Etat adjoint pour le Proche-Orient, la mort de Ben Laden à infligé une "blessure corporelle" au mouvement au moment même où le printemps arabe sapait ses fondements idéologiques.

"Leur credo est que la violence et le terrorisme sont des moyens de retrouver la dignité et les droits des Arabes. Or, les gens dans les rues du monde arabe retrouvent leurs droits et leur dignité pacifiquement, avec des manifestations non violentes (...)", observe le diplomate, désormais membre de la Brookings Institution.

Ben Laden, poursuit-il, "n'est parvenu à renverser aucun gouvernement alors qu'il les font tomber les uns après les autres. Je dirais que la combinaison des deux (la mort de Ben Laden et le printemps arabe) plonge Al Qaïda dans une véritable crise".

"Les raisons pour lesquelles des gens s'engagent dans des mouvements terroristes sont toujours là", observe quant à lui Rami Khouri, évoquant "la colère et l'humiliation des gens qui considèrent que l'Occident, leurs propres dirigeants et Israël les traitent avec mépris".

Le commentateur beyrouthin parie néanmoins sur la poursuite de la marginalisation d'Al Qaïda, à laquelle le retrait des forces américaines déployées en Irak et en Afghanistan va encore contribuer.

"Le printemps arabe est certainement le signe que l'immense majorité des Arabes, comme nous l'avons toujours su, rejette Ben Laden. Lui et Zaouahri ont tenté de toutes leurs forces de mobiliser les masses arabes, mais cela n'a jamais marché.

"Ce que les Arabes veulent, c'est ce pour quoi ils se battent en ce moment même, c'est-à-dire les droits de l'homme, la dignité et des gouvernements démocratiques".

Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Gilles Trequesser