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Belgique: un chercheur crée un centre pour détourner les jeunes du jihad

Durant 15 jours, un chercheur belgo-palestinien a intégré les rangs jihadistes en Syrie. Après avoir observé sur le terrain comment des jeunes pouvaient sombrer dans la "guerre sainte", il a créé un centre de déradicalisation en Belgique.

Pour écrire sa thèse, Montasser Alde’emeh n’a pas hésité à prendre des risques. Non pas que ce chercheur belgo-palestinien soit suicidaire, il souhaitait simplement constater de ses propres yeux au lieu de condamner d’office. Ce jeune homme de 26 ans a passé deux semaines en Syrie aux côtés de jihadistes belges afin de comprendre pourquoi certains jeunes sombrent dans la "guerre sainte".

Tout commence sur Facebook. Via le réseau social, le chercheur est approché par des jeunes combattants de l’organisation jihadiste Sharia4Belgium, dont le chef et plusieurs membres ont déjà été lourdement condamnés par la justice belge. Avec eux, il noue un contact et finit par être invité à les rejoindre en Syrie. Le professeur Tom Sauer, qui supervise sa thèse, tente bien de l'en dissuader. En vain. Montasser Alde’emeh n’imagine pas conclure sans thèse sans une étude spécifique sur le terrain.

"Pour moi, il était très important de parler avec eux pour voir comment les jihadistes vivent et ne pas simplement faire une analyse abstraite, lointaine", confie le doctorant au micro de BFMTV.

Pas de profil type

Sur place, il intègre le Front d’al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda. Le jeune homme y rencontre des personnes de toutes origines, parfois venues en famille. "Il n’y a pas de profil type", estime le chercheur. "Mais une quête d’idéal", prévient-il.

"Ce sont surtout des gens qui veulent se forger une identité, qui sont très isolés dans la société. Ils partent vraiment pour des questions d’idéologie."

Au sein du groupe, beaucoup fuient le capitalisme, exècrent le monde occidental "qui opprime les musulmans" et critiquent l’influence des médias. La plupart souhaite retourner en arrière, à des siècles de la mondialisation. Et la violence, croient-ils, va les y mener.

"Mais leur vie n’est pas simplement de décapiter des gens. Ces hommes et ces femmes sont là pour endoctriner la population, expliquer le projet de l’Etat islamique et montrer que leur combat est parfaitement légitime. Ils sont partie prenante d’un projet qui est de rétablir le califat", explique Montasser Alde’emeh.

Accompagner les âmes égarées

Après 15 jours d’immersion, le chercheur rentre en Belgique, la terre où ses parents palestiniens ont trouvé refuge il y a des années. Fort de son expérience, le jeune homme crée un centre de déradicalisation à Malines, au nord de Bruxelles. Ou plutôt, "un lieu de connaissance, de recherche et d’accompagnement" selon ses termes. En somme, un endroit pour détourner les jeunes de l’extrémisme violent. "Si je ne le fais pas, qui le fera?", s’interroge Montasser Alde’emeh.

"Pour moi, c’était une décision facile à prendre. Il faut canaliser les frustrations de ces jeunes et comprendre qu’ils vivent avec ce sentiment", explique-t-il. Le chercheur ne s’en cache pas, il souhaite les "intellectualiser" et leur donner "des connaissances historiques sur l’islam, le Coran, le prophète". Montasser Alde’emeh apporte également une aide aux familles dont l’un des membres est parti faire le jihad, "trop souvent livrées à elles-mêmes".

Eviter le pire

En plus du centre, le chercheur a également rédigé son histoire dans un livre, intitulé Pourquoi nous sommes tous des djihadistes. Des familles qui l’ont lu l'appellent: "Elles savent ou comprennent d'emblée que je ne peux rien faire, ou très peu, pour leur enfant, mais que je peux leur prêter une oreille attentive", explique-t-il au Monde.

Dans son pays, le chercheur déplore également la timide intégration des musulmans. "Nous avons en Belgique beaucoup de fidèles qui sont malheureux, frustrés et qui ont le sentiment de ne pas être représentés. Il faut engager le dialogue, leur donner une identité, leur dire qu’ils ont beaucoup de possibilités dans notre société", préconise Montasser Alde’emeh, tout en tirant la sonnette d’alarme. "Les filières sont actives en Belgique mais demeurent invisibles. Les services de renseignements essayent de les suivre, de comprendre ce qu’ils veulent faire, le danger qu’ils représentent pour l’Etat. C’est indispensable pour prévenir d’éventuels attentats."

Pierjean Poirot avec Anne-Sophie Warmont