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Asie

Violences en Inde : "Les femmes ont peur de vivre à New Delhi"

Une marche en mémoire de "la fille de l'Inde", le 30 décembre, à New Delhi.

Une marche en mémoire de "la fille de l'Inde", le 30 décembre, à New Delhi. - -

La médiatisation de la "Fille de l'Inde", cette jeune étudiante de 23 ans morte après avoir été violée par plusieurs hommes, a mis en lumière la misogynie de la société indienne. Pierre Monégier, correspondant pour France 2 à New Delhi, décrypte ce phénomène.

Pierre Monégier est correspondant pour France 2 à New Delhi en Inde, où il vit depuis près de trois ans, et où il scrute avec attention les conditions de vie des Indiens. Dans ce pays à deux vitesses où la modernité des uns se confronte quotidiennement à l'archaïsme des autres, les chocs sont souvent brutaux. En témoigne ce drame au retentissement international, une jeune fille victime d'un viol collectif au fond d'un bus et décédée des suites de ses blessures, qui a mis en lumière un climat de violence sournoise et quotidienne envers les femmes.

L'indignation récente de nombreux hommes dans les manifestations contre les violeurs ne correspond pas à l'image misogyne décrite par les femmes indiennes...

Oui, c'est vrai, mais les femmes elles-mêmes ne sont pas dupes de cette indignation de surface. L'une d'elles me disait il y a quelques jours qu'elle en avait marre d'entendre tous ces hommes hurler dans la rue pour réclamer la peine de mort pour les violeurs alors qu'au quotidien, ils sont les premiers à alimenter un système où la femme est déconsidérée. Les vraies sources du mal sont la misogynie de la société et son modèle patriarcal.

Les enfants sont-ils éduqués dans l'idée que la femme est l'égal de l'homme ?

Disons que l'on apprend systématiquement aux garçons à prendre soin de leurs sœurs, et aux filles à ne pas sortir tard, à ne pas sortir seule, à ne pas désobéir… Autant de notions ancrées culturellement qui mettent la femme sous l'autorité de son père ou de son frère depuis l'enfance. Dans les films de Bollywood, on voit souvent des femmes se faire gifler, kidnapper, voire même violer, alors qu'on ne voit jamais un couple s'embrasser : une autre preuve que la tendresse est peu ancrée dans les relations amoureuses, contrairement à la violence.

Cette dénonciation des violences envers les femmes est-elle récente ?

Il y a eu effectivement par le passé des mouvements féministes, des pétitions relayées par les médias, mais tout ceci n'atteint pas une frange massive de la population, qui vit à la campagne. Là, cependant, avec "La fille de l'Inde" (nom donné à la jeune fille violée, décédée des suites de ses blessures, ndlr), on sent pour la première fois une inflexion. On a eu parfois ces dernières années des déclarations hallucinantes des politiques, des hommes souvent âgés, sur de précédents viols : "Voilà ce qui arrive quand on sort tard", "Voilà ce qui arrive quand on côtoie d'autres hommes que son père". Cette fois-ci, les politiques se sont inclinés et sont restés prudents.

L'insécurité que ressentent les femmes est-elle spécifique aux grandes villes ?

Je dirais que c'est une particularité de Delhi. Il y a des violences dans tout le pays, mais les Indiennes que je connais et qui ont voyagé rapportent qu'il n'y a qu'à Delhi qu'elles ont peur. Il y a une raison à cela : cette ville est enclavée dans une région très rurale, dans laquelle se pratiquent encore les panshayat, ces conseils de villages officiellement interdits, menés par des anciens, qui font la loi et rendent la justice. Beaucoup de gens sont nés dans cette culture et ont ensuite migré vers Delhi. Ils ont souvent très peu d'éducation et des réflexes très misogynes. Un comportement par ailleurs accentué par le surnombre d'hommes par rapport aux femmes, à cause des avortements sélectifs. Il est interdit en Inde de connaître le sexe du bébé avant sa naissance, mais en glissant un billet, tout devient possible. Il manquerait ainsi près de quinze millions de femmes dans le pays.

Indira Gandhi, une femme, est restée au pouvoir durant quinze ans entre 1966 et 1984. Aujourd'hui, en coulisses, c'est aussi une femme qui dirige le pays, Sonia Gandhi. L'Inde est-elle vraiment misogyne ?

Il est vrai qu'il y a beaucoup de femmes puissantes, que ce soit dans les affaires, dans les médias, dans les instances politiques régionales comme à Calcutta… Mais de manière générale, les femmes sont déconsidérées. Les femmes des classes populaires sont les plus touchées par les violences du quotidien, et pourtant, elles sont celles qui vont le moins porter plainte. Les femmes plus modernes, lorsqu'elles se sentent molestées, n'hésitent pas à interpeller elles-mêmes les hommes, de manière parfois très cash.

Il y a beaucoup de tourisme en Inde. Les femmes étrangères vivent-elles le même calvaire ?

Les étrangères prennent très peu le bus, elles empruntent souvent les "touk touk". Et dans le métro, à Delhi par exemple, il y a des wagons réservés aux femmes. De manière générale, les Indiens s'en prennent moins aux étrangères, car ils savent qu'ils risquent gros. Cela ne doit pas empêcher les femmes touristes de prendre certaines précautions, surtout la nuit.

Alexandra Gonzalez