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Thaïlande

Pourquoi les Thaïlandais manifestent

Des manifestants anti-gouvernement, le 24 novembre, à Bangkok.

Des manifestants anti-gouvernement, le 24 novembre, à Bangkok. - -

La Thaïlande est à nouveau frappée par des manifestations de grande ampleur. D'abord concentrées à Bangkok, les protestations se sont étendues à d'autres villes du pays. Les manifestants réclament la chute du gouvernement, mené par la sœur de l'ancien Premier ministre renversé en 2006, Thaksin Shinawatra.

Trois ans après la crise de 2010, qui s'était soldée par un bain de sang, la Thaïlande est à nouveau coupée en deux. Le mouvement de protestation réclamant la chute du gouvernement en place, amorcé il y a un mois, prend un tour plus radical depuis quelques jours, plusieurs bâtiments officiels ayant été assiégés par les manifestants. Vendredi, ces derniers ont forcé le siège de l'armée. Jusqu'alors limité à la capitale, Bangkok, le mouvement s'est étendu mercredi à d'autres villes du pays. Qui sont les manifestants et que réclament-ils? BFMTV.com fait le point sur cette nouvelle crise.

> D'où est parti ce mouvement de révolte?

A l'origine du mouvement protestataire se trouve un projet de loi d'amnistie adopté le 1er novembre par la chambre basse du Parlement. Selon les manifestants, le texte laisserait la voie libre à un retour de l'ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra, chassé du pouvoir par un coup d'Etat en 2006 alors qu'il se trouvait aux Etats-Unis, désormais exilé au Cambodge. Sa sœur, Yingluck Shinawatra, est aujourd'hui chef du gouvernement thaïlandais.

Thaksin, un homme d'affaires ayant fait fortune dans les télécommunications, bénéficie du soutien d'une large partie de la population, notamment les classes défavorisées, qui voient en lui un modèle de réussite. A l'inverse, l'élite du pays, vivant en milieu urbain, ainsi que la classe moyenne, le considèrent comme l'incarnation de la corruption qui continue à gangréner le pays.

> Que réclament les manifestants?

Malgré le rejet du texte de loi par le Sénat le 11 novembre dernier, sous la pression de la rue, la colère des manifestants n'est pas retombée. Ils exigent désormais le départ de Yingluck Shinawatra, Premier ministre depuis août 2011, et la chute du gouvernement afin de mettre fin à ce qu'ils appellent le "système Thaksin". Les opposants soupçonnent en effet l'ancien leader politique de continuer à tirer les rênes du pouvoir, dans l'ombre et depuis l'étranger, en manipulant sa sœur.

Les manifestants expliquent être déterminés à continuer à manifester tant que le pouvoir ne sera pas entre les mains du peuple. Et ce même si le Premier ministre consent à démissionner ou à dissoudre le Parlement. Jeudi, ce dernier a rejeté une motion de censure contre le gouvernement, défendue par l'opposition, minoritaire au sein de la chambre.

> Qui sont-ils?

Menés par l'ancien vice-Premier ministre Suthep Thaugsuban, les manifestants, surnommés les "chemises jaunes", comme lors des dernières crises internes, sont aussi bien des citadins que des paysans du sud du pays venus à Bangkok pour participer aux manifestations, grâce à des bus affrétés par les organisateurs.

Face à eux, les "chemises rouges", des masses défavorisées du nord de la Thaïlande, restent fidèles à Thaksin. Plusieurs milliers de rouges se sont d'ailleurs rassemblés dans un stade de Bangkok depuis dimanche, en signe de soutien au gouvernement en place.

La division de la société thaïlandaise, exacerbée depuis plusieurs années, est donc à nouveau en première ligne. Pour Jean-Vincent Brisset, directeur de recherches à l'IRIS et spécialiste de l'Asie, interrogé par 20 Minutes, il s'agit d'une "opposition entre un conservatisme socialisant (les chemises rouges) et un modernisme libéral (les chemises jaunes)".

> Quelles actions mènent-ils?

Classiques et relativement calmes pendant plusieurs semaines, les manifestations quotidiennes ont pris un tournant plus radical ces derniers jours. Les rassemblements de masse se sont multipliés à Bangkok depuis dimanche et se sont étendus mercredi à de nouvelles villes du pays. Les manifestants ont également assiégé plusieurs ministères et occupent depuis lundi le bâtiment du ministère des Finances, "pacifiquement" selon eux. Jeudi, ils ont coupé l'électricité au siège de la police, refusant toute négociation, et ont forcé le siège de l'armée, vendredi.

Ces manifestations, les plus importantes depuis celles de 2010, ont entraîné un renforcement de la présence policière mais surtout l'extension à toute la capitale d'une loi de sécurité spéciale permettant d'imposer un couvre-feu ou d'interdire les rassemblements. Face à la montée des tensions, Washington a lancé un appel au calme, dès lundi.

> Un coup d'Etat est-il possible?

La Thaïlande a connu 18 coups d'Etat ou tentatives depuis 1932. L'hypothèse d'un nouveau coup d'Etat militaire, le dernier en date remontant à 2006, est donc tout à fait envisageable.Toutefois, comme le souligne Jean-Vincent Brisset, "l’armée n’a pas bougé et il n’y a ni arme, ni blessé", pour le moment.

Le scénario le plus redouté reste pour l'heure celui d'une confrontation directe entre chemises jaunes et chemises rouges, entraînant une répression des forces de l'ordre. La dernière crise en date, celle de 2010, particulièrement violente, avait fait 90 morts et 1.900 blessés.

Adrienne Sigel