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Sanctions contre la Russie: qui a le plus à perdre?

Angela Merkel, Vladimir Poutine, David Cameron, Barack Obama et François Hollande lors du G8, en juin 2013.

Angela Merkel, Vladimir Poutine, David Cameron, Barack Obama et François Hollande lors du G8, en juin 2013. - Crédits photo : nom de l'auteur / SOURCE

La salve de sanctions prononcées lundi par les Occidentaux à l'égard de hauts responsables russes ne semble pas avoir affecté Vladimir Poutine, qui a réaffirmé, ce mardi, sa détermination sur le dossier criméen. En face, Europe et Etats-Unis menacent de durcir un peu plus le ton.

MISE A JOUR - Invité de Bourdin Direct sur BFMTV jeudi matin, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a estimé qu'une exclusion de la Russie du G8 était "possible".

"Des sanctions très confortables". Mardi, les mesures ciblées prononcées la veille par les Occidentaux à l'encontre de hauts responsables russes et ukrainiens ont inspiré "ironie" et "sarcasme" dans l'entourage de Vladimir Poutine. Ces sanctions, qui se veulent être un "message de fermeté" adressé à Moscou, pourraient être suivies de nouvelles mesures rapides, notamment avec une exclusion de la Russie du G8 dès la semaine prochaine a évoqué le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, jeudi sur BFMTV. Pour l'heure, ces annonces ne semblent pas effrayer le Kremlin, bien au contraire. Qui a le plus à perdre dans cette histoire? BFMTV.com fait le point.

> Les sanctions peuvent-elles peser sur Moscou?

• Message de fermeté. Bien que limitées et ciblées, les sanctions prononcées lundi par l'Union européenne et les Etats-Unis, qui consistent en un gel des avoirs et des restrictions de visas de plusieurs responsables russes et ukrainiens, adressent un message ferme à Moscou. "Nous essayons d'envoyer le message le plus fort possible à la Russie afin qu'elle comprenne combien la situation est grave", a ainsi expliqué la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton. Mais mardi, lors de son discours devant le Parlement russe, Vladimir Poutine s'est montré impassible.

• Effets limités à court terme. "Etant donné la légèreté des sanctions, pour le moment, il n'est pas surprenant que Moscou ne soit pas impressionné", explique Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), joint par BFMTV.com. "La Russie est forcément sensible aux sanctions, car son grand projet de modernisation repose sur ses partenariats avec l'étranger. Mais à court terme, les effets restent limités, considérant le fait que ces mesures ne vont pas s'appliquer tout de suite", justifie le spécialiste.

• L'économie russe impactée. En revanche, si les sanctions se durcissent -ce qu'envisagent fortement les responsables occidentaux- elles peuvent avoir un réel impact sur l'économie russe. "Les effets sur la Bourse de Moscou, sur le cours du rouble et sur l'attitude des investisseurs en Russie seront très vite visibles. On l'a vu avec l'Iran: les sanctions avaient immédiatement découragé les investisseurs, alors même que les mesures n'avaient pas encore été appliquées", rappelle Camille Grand.

> Quel impact sur l'Europe et les Etats-Unis?

• Double impact. Si les sanctions prises lundi n'ont pas de conséquences pour les puissances occidentales, la menace de sanctions économiques et commerciales, d'ores et déjà évoquée avec l'"annexion" de la Crimée, pourrait s'avérer plus gênante. "C'est toute la difficulté des sanctions: elles engagent toujours plusieurs parties. Au niveau européen, des sanctions sur l'armement impacteront les fabricants, des sanctions financières se répercuteront sur la City et des sanctions énergétiques affecteront les pays dépendants", détaille Camille Grand. De fait, on est dans un véritable schéma "perdant-perdant".

• De lourdes conséquences pour l'Europe. Pour punir Moscou, Bruxelles pourrait tout à faire prendre une série de mesures visant à affaiblir l'économie russe. Mais le retour de bâton serait terrible pour l'Europe, compte tenu des nombreux partenariats établis entre les deux puissances. A commencer par les accords énergétiques, la Russie étant le principal fournisseur en gaz de nombreux pays européens. "Beaucoup de pays de l'Est de l'Europe sont dans une situation de quasi-dépendance au gaz russe. Ils disposent très certainement de plusieurs mois de réserve, mais un vrai problème peut se poser si Moscou décide de couper les vannes", souligne le directeur de la FRS. Toutefois, là encore, l'impact est double, puisque couper le gaz à l'Europe revient, pour la Russie, à se priver de capitaux extrêmement importants.

Le premier Mistral commandé à la France par la Russie.
Le premier Mistral commandé à la France par la Russie. © Crédits photo : nom de l'auteur / SOURCE

• La France directement touchée? Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a évoqué une possible suspension des contrats de vente de navires Mistral, précisant que "ce n'est pas dans les clous, car ce serait le niveau 3 des sanctions" et qu'elle s'inscrirait dans une "suspension générale" de la part de l'UE. Une telle décision serait un coup dur pour les chantiers navals de Saint-Nazaire et leurs salariés. Quant aux effets économiques, ils seraient immédiats: Paris avaient vendu deux navires Mistral à la Russie moyennant 1,2 milliard d'euros, en 2011. Pour l'heure, un seul a été payé. Côté russe, l'impact serait surtout militaire: le pays n'a pas les moyens de fabriquer des navires de guerre de ce type.

• Des enjeux stratégiques pour Washington. En cas de durcissement des sanctions, les Etats-Unis, qui font moins de business avec la Russie que les Européens, seraient surtout menacés par des effets géopolitiques. Moscou pourrait ainsi envisager de bloquer l'évacuation de soldats américains d'Afghanistan, qui se fait via le territoire russe. Mais la manœuvre représenterait un manque à gagner de deux milliards de dollars par an pour la Russie. Par ailleurs, comme le rappelle Camille Grand, les Etats-Unis gardent à l'esprit qu'ils peuvent avoir besoin de la Russie dans la gestion des autres crises sur la scène internationale, notamment les dossiers syrien et iranien.

> Quid des sanctions diplomatiques?

• Participation au G8 suspendue. Parallèlement aux sanctions financières et commerciales, les Occidentaux ont évoqué la possibilité de sanctions diplomatiques. A commencer par une éventuelle expulsion de la Russie du G8, dont la prochaine réunion doit se tenir le 6 juin, à Sotchi. Une menace à forte charge symbolique. "Il n'est pas du tout exclu que le prochain G8 se fasse sans Poutine. Pour l'heure, on en est encore à l'étape où il n'y a pas de préparation commune avec la Russie. Mais on peut tout à fait revenir à un format de G7. Ce n'est pas encore fait", relativise Camille Grand.

• Une décision non définitive. La sanction peut-elle être plus large et s'étendre à l'ONU? "Il est impossible d'exclure la Russie du Conseil de sécurité des Nations unies", rappelle l'expert, qui ajoute qu'elle peut cependant être évincée des enceintes de types "club", comme le G8 et le G20. Mais rien de définitif dans ce genre de décision. "Le pari de Poutine est celui d'une logique de fait accompli: il mise sur une action brutale et rapide, puis sur un futur compromis qui lui permettra de revenir au coeur des relations internationales", conclut Camille Grand.

Adrienne Sigel