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LA VÉRIF - Guerre en Ukraine: Vladimir Poutine peut-il utiliser les armes chimiques?

De Joe Biden à Volodymyr Zelensky, beaucoup de dirigeants craignent que la Russie utilise des armes chimiques. Est-ce possible? En possède-t-elle encore? BFMTV fait le point sur la question.

Un mois après le début de la guerre en Ukraine, une inquiétude grandit au sein de la communauté internationale: l'utilisation potentielle d’armes chimiques.  

Lundi, le président américain Joe Biden déclarait qu’une attaque russe à l’arme chimique était "une menace crédible". Vendredi, il a d’ailleurs promis que l'Otan sanctionnerait leur utilisation. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a aussi réitéré son inquiétude, dénonçant un "risque bien réel".

L'Otan et des pays occidentaux ont mis en garde à plusieurs reprises la Russie contre l'utilisation d'armes chimiques en Ukraine. Ils craignent un tel scénario en raison des accusations répétées par Moscou selon lesquelles les États-Unis et l'Ukraine gèreraient des laboratoires destinés à produire sur le sol ukrainien des armes biologiques et chimiques.

Un usage encadré

Les armes chimiques sont, selon l'organisation pour l'Interdiction des Armes Chimiques, "un produit chimique utilisé pour provoquer la mort ou d'autres dommages par son action toxique". À différencier, donc, des armes biologiques qui peuvent prendre la forme d'un virus ou d'une bactérie.  

Leur usage est encadré par plusieurs écrits, dont le texte principal est issu d’une Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC) signé en 1993. Cette organisation compte aujourd’hui 193 États, dont la fédération de Russie et l’Ukraine. Elle sert à établir des règles pour empêcher l’utilisation d’armes chimiques et s’assurer de leur destruction. 

Dans l'article 1, il est ainsi écrit que chaque État s'engage "à ne jamais employer d’armes chimiques", "à détruire les armes chimiques dont il est le propriétaire ou le détenteur" et "à ne pas employer d’agents de lutte antiémeute en tant que moyens de guerre".

Après ratification, les pays ont dix ans pour se débarrasser de leurs armes chimiques.  La Russie a signé le texte officiellement en novembre 1997. Elle ne devrait donc plus en posséder depuis 2007. Mais elle a probablement demandé un délai, puisque ce n'est qu'en 2017 que les 40.000 tonnes connues d'armes chimiques russes ont - officiellement - été détruites.

Des précédents

Il y a des milliers de contrôles qui sont réalisés dans les 193 pays membres de la Convention.  Pourtant, la communauté internationale s’inquiète. Notamment en raison d'événements passés, au cours desquels la Russie a déjà fait débat.

Alexeï Navalny, connu pour être le principal opposant au Kremlin, est tombé soudainement dans le coma en août 2020. Plusieurs pays - dont la France - estimaient qu’il avait été victime d’une tentative d’assassinat par le gouvernement russe. Des États membres de la Convention avaient désigné un laboratoire et réclamé une analyse de sang. Avait alors été identifié "un agent neurotoxique organophosphoré du groupe Novitchok dans l’échantillon sanguin". Soit une arme chimique, sous la forme d’un poison, conçue par les soviétiques dans les années 80.

Avant lui, en 2018, Sergueï Skripal, un ancien agent-double du KGB, réfugié au Royaume-Uni, était lui aussi victime d’un empoisonnement au Novitchok. Dans un rapport sur le contrôle des armes de destruction massive, publié l'année dernière, le Parlement Européen réitérait "sa vive inquiétude face à la tentative d’assassinat d’Alexeï Navalny et de Sergueï Skripal au moyen de l’agent neurotoxique interdit Novitchok" et priait "instamment la Russie de fournir des réponses essentielles".

La Russie a refusé d’enquêter. Et aucune réponse directe n’a été apportée ni à ces 45 États, ni au Parlement Européen. Elle nie toute responsabilité.

"Une longue tradition dans l'emploi des armes chimiques"

La Russie possède-t-elle toujours des armes chimiques? Il est quasiment impossible de trouver des informations sur son inventaire d’armes chimiques. Selon le général Jérôme Pellistrandi, consultant militaire BFMTV, la Russie et l'URSS ont "une longue tradition dans l'étude et l'emploi des armes chimiques et bactériologiques".

"La partie asséchée de la mer d'Aral est interdite d'accès car elle servait de lieu d'expérimentation pour les armes chimiques et biologiques. On note qu'il y a eu l'empoisonnement de nombreux dissidents. Et les Russes possèdent des laboratoires, notamment en Sibérie, dans des conditions difficiles d'accès", a-t-il souligné.

De plus, selon lui, "produire des armes chimiques ce n'est pas difficile": "Produire du chlore, par exemple, c'est assez facile. On met ces armes dans des obus et c'est simple à utiliser sur le champ de bataille".

D'autres atouts militaires

Si dans cette guerre la Russie n’utilise pas d’armes chimiques, elle peut déployer d’autres atouts militaires. Le président Volodymyr Zelensky a, par exemple, accusé la Russie d’avoir utilisé des bombes au phosphore. Elles ne sont pas considérées comme des armes chimiques mais détournées de leur utilisation première, elles peuvent faire beaucoup de dégâts.

"Les bombes au phosphore blanc ne sont pas interdites car elles ne répondent pas complètement à une des conditions de la convention contre les armes chimiques, qui est de causer des dommages mortels aux civils. Le phosphore blanc est très utilisé, y compris par des pays occidentaux. C'est l'objet de polémiques et discussions musclées. Les organisations humanitaires condamnent son utilisation", explique Isabelle Dufour, spécialiste en stratégie de défense.

Le Kremlin dément, de son côté, toute violation du droit international. En cas de suspicion, n’importe quel pays peut demander à l’ONU de mettre en demeure un État pour réaliser une inspection.

Lisa Hadef avec Clément Boutin