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Enquête de la CPI sur la guerre en Ukraine: Poutine peut-il être menacé par la justice internationale?

Le président russe Vladimir Poutine en Finlande en juillet 2017.

Le président russe Vladimir Poutine en Finlande en juillet 2017. - Martti Kainulainen - Lehtikuva - AFP

Les pressions sur Vladimir Poutine s'accentuent à l'échelle mondiale. Face aux exactions de l'armée russe qui progresse en Ukraine, le procureur de la Cour pénale internationale a annoncé lundi son intention d'ouvrir une enquête, évoquant des "crimes de guerre" et des "crimes contre l'humanité". Mais le président russe risque-t-il vraiment d'être poursuivi par un tribunal international?

À l'international, de plus en plus de voix se lèvent pour dénoncer des "crimes des guerres" commis par les forces russes, envoyées jeudi dernier en Ukraine par Vladimir Poutine. Depuis le début de la semaine, le gouvernement britannique prévient que le président russe serait "tenu pour responsable de toute violation des lois de la guerre", et Kiev accuse Moscou de planifier "un génocide" sur son territoire.

De la même manière, Amnesty International condamne l'utilisation de bombes à sous-munitions, interdites en 2010 par une convention internationale, estimant que cela devrait faire l'objet d'une enquête pour "crime de guerre".

Soupçons de "crimes de guerre" et "contre l'humanité"

Mercredi soir, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a ainsi annoncé l'ouverture d'"une enquête sur la situation en Ukraine, évoquant des "crimes de guerre" et "crimes contre l'humanité" commis sur le sol ukrainien. Mais que risque véritablement le président Poutine, au pouvoir en Russie depuis 2000?

Dans son communiqué, le procureur de la Cour pénale internationale Karim Khan se dit "convaincu qu'il existe une base raisonnable pour croire que des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité présumés ont été commis en Ukraine". Pour avancer cela, Karim Khan se base sur un rapport préliminaire commandé par sa prédescesseure Fatou Bensouda, rendu en décembre 2020. Celui-ci portait sur les exactions russes commises en Ukraine depuis la révolution de Maidan en novembre 2013, notamment dans le Donbass: une décision qualifiée d'"historique" par l'Ukraine.

Mais il ajoute qu'"au vu de l’expansion du conflit ces derniers jours, (il) compte inclure aussi dans cette enquête tout nouveau crime supposé (…) commis par n’importe quelle partie du conflit, où que ce soit en Ukraine". Karim Khan, qui a récemment été nommé procureur, a assuré que son enquête serait menée "de manière objective et indépendante" et qu'elle viserait à "garantir la responsabilité des crimes relevant de la compétence de la CPI".

De la même manière, l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe a annoncé qu'elle allait mettre en place une mission d'experts indépendants pour enquêter sur les violations du droit international perpétrées par la Russie. Un rapport devra être finalisé "de préférence dans les trois semaines" pour établir "d'éventuels cas de crime de guerre" et "les présenter aux tribunaux compétents", a fait savoir jeudi la délégation canadienne, au nom de 45 États membres.

Des poursuites visant sa volonté d'expansion territoriale?

Théoriquement, Vladimir Poutine pourrait être jugé pour plusieurs motifs. Au regard de l'article 8 bis du statut de Rome, qui fonde la Cour pénale internationale, "il y a crime d’agression lorsqu’un État emploie la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance politique d’un autre État", rappellaient les avocats Emmanuel Daoud et Camille Thomé dans une tribune publiée mardi dans le journal Le Monde appelant à ce que le dirigeant autoritaire russe soit jugé par la CPI.

"Ce crime doit être le fait d’un dirigeant, c’est-à-dire d’une personne en position de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État", précisaient encore ces experts du droit international. "Cet acte d’agression doit constituer par sa nature, sa gravité et son ampleur, une violation manifeste de la Charte des Nations unies".

Mais le chef d'État russe pourrait également être poursuivi au regard de l'article 8 de la Cour pénale internationale, qui réprime les crimes de guerre définis par les Conventions de Genève et de La Haye. Mais ce n'est pas tout: selon l'article 7 du Statut de Rome, Vladimir Poutine pourrait enfin être poursuivi par la cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité, c'est-à-dire pour "violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d'un individu ou d'un groupe d'individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux". En somme, une attaque "planifiée" et "généralisée contre des civils".

"Ce que nous avons déjà vu de la part du régime de Vladimir Poutine concernant l'utilisation des munitions larguées sur des civils innocents, cela constitue déjà à mon avis un crime de guerre", a déclaréle chef du gouvernement britannique Boris Johnson devant les députés, qui se sont levés pour une ovation à l'ambassadeur ukrainien Vadym Prystaïko, présent dans les galeries de la Chambre des Communes.

Des obstacles législatifs

Jusqu'alors, plusieurs chefs d'État et de gouvernement ont déjà été condamnés en 2021 par la Cour pénale internationale pour des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité: c'est notamment le cas de Bosco Ntaganda, l'ancien chef de guerre du Congo, condamné à 30 ans de prison; ou encore de l'ex-commandant en chef de l'armée serbe Ratko Mladic, condamné à perpétuité pour ses crimes pendant la guerre de Bosnie.

L'une des difficultés, dans le cas du conflit russo-ukrainien, c'est que la Russie n'a pas ratifié le Statut de Rome (soit la Cour pénale internationale). Elle a en réalité retiré sa signature en 2016, et ne reconnaît donc plus la compétence de cette cour internationale sur son territoire. Or cela est nécessaire pour que le tribunal puisse exercer sa compétence. L'Ukraine n'est pas membre, mais a accepté en 2014 la juridiction de la Cour.

Enfin, un autre problème pourrait rendre difficile la poursuite d'un chef d'État tel que Poutine: en effet, la Cour pénale internationale ne peut juger que les individus physiquement "présents à leur procès", si l'un des pays coopérant avec la CPI émet un mandat d'arrêt contre le prévenu et l'arrête en vue d'un jugement, selon l'article 63 du Statut de Rome.

Mais la CPI est également limitée par son absence de force de police et par la discrétion des États pour faire arrêter les suspects présents sur leur sol. Dans ces conditions, difficile de savoir si une telle procédure pourra aboutir.

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV