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Japon

Fukushima: les enfants déplacés victimes de discrimination et de brimades

Des années après, le quotidien de jeunes qui avaient été obligés de tout quitter après la catastrophe est très difficile. Insultés, ostracisés, violentés, les enfants sont discriminés par une partie de la société japonaise.

Ils sont appelés les "migrants de l'Intérieur". Au nombre de 160.000, ils sont partis après la catastrophe de Fukushima, sur ordre des autorités ou par peur des radiations. Parmi eux, un certain nombre d'enfants. D'abord portés par l'élan de solidarité qui s'était emparé du pays et symbolisé par le refrain "Ganbarô Nippon" ("Tiens bon, Japon"), les choses se sont ensuite beaucoup moins bien passées pour ces rescapés, qui se sont vus insulter, ostraciser, parfois violenter. Les jeunes, plus sensibles aux attaques et vexations, paient un lourd tribut à une société qui ne leur fait guère de cadeau.

Les jeunes, cibles toutes trouvées

Il n'est pas rare qu'au Japon, pays de l'ordre social, les personnes vulnérables et différentes soient victimes de brimades ("ijime"), cause importante de suicides chaque année. L'éducation japonaise, fondée sur la notion de groupe soudé, tend à effacer toute individualité, faisant des enfants qui sortent du lot des cibles idéales, explique Asao Naito, spécialiste de ce phénomène à l'université Meiji de Tokyo.

"Dans cet environnement totalitaire des écoles japonaises, les évacués de Fukushima sont une proie facile", dit-il.

Un cas à Yokohama (banlieue de Tokyo) a récemment soulevé l'indignation, celui d'un garçon qui a relaté s'être fait racketter 1,5 million de yens (12.500 euros) par les autres élèves. Il a aussi été bousculé physiquement et accusé de vivre des aides de l'Etat.

"J'ai songé je ne sais combien de fois à mourir, mais tant de personnes ont déjà été emportées par le tsunami que même si c'est dur, j'ai décidé que je devais vivre", a-t-il écrit dans une lettre.

Il a enduré la douleur en silence pendant des années, n'osant s'en ouvrir à sa mère, elle-même soumise à rude épreuve par ses voisins. "On lui jetait des ordures et elle a reçu une lettre anonyme leur demandant de quitter le quartier", raconte Kei Hida, avocate de la famille.

70% des zones évacuées vont être réintégrées

Le gouvernement a fait état vendredi d'une évaluation nationale des cas de harcèlement d'enfants issus des régions affectées. Les réfugiés de Fukushima, que beaucoup de Japonais ne considèrent pas comme des "victimes", ont du mal à exprimer leur désarroi, constate Tomohiro Kurosawa, qui défend plusieurs d'entre elles. 

A compter d'avril, près de 70% des territoires interdits seront de nouveau décrétés habitables. La politique du gouvernement, qui plaide pour leur retour en assurant que la situation est revenue à la normale, "brouille le statut des victimes, créant un espace incitant les autres à les rejeter et à les attaquer".

Tomohiro Kurosawa a également représenté des "hibakusha" (survivants des bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki en 1945), et l'opprobre jeté sur les victimes de Fukushima lui rappelle ces heures sombres, quand on évitait de fréquenter les irradiés.

David Namias avec AFP et Olivier Boulenc