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Corée du Nord

Corée du Nord: photos authentiques du pays le plus fermé au monde

Le photographe Michal Huniewicz a tout fait pour contourner les interdictions de photographier pendant son voyage en Corée du Nord. Résultat: il a rapporté des images rares de ce pays si fermé et mystérieux.

Le photographe Michal Huniewicz a tout fait pour contourner les interdictions de photographier pendant son voyage en Corée du Nord. Résultat: il a rapporté des images rares de ce pays si fermé et mystérieux. - Michal Huniewicz

Difficile de connaître la réalité sociale d'un pays fermé dont chaque visiteur est à tout moment contrôlé. Au moment où la Corée du Nord menace de frapper Séoul et les Etats-Unis du feu nucléaire, le regard de Michal Huniewicz s'immisce entre les craquelures d'un décor de théâtre et révèle ce que le régime ne saurait montrer.

La Corée du Nord est une sorte d'énigme pour le reste du monde. On lui prête souvent la qualité de pays "le plus secret": il est de fait extrêmement fermé et alimente ainsi tous les fantasmes. Il est très difficile de connaître avec exactitude les conditions de vie de ses 25 millions d'habitants, et il existe peu d'images permettant d'en rendre compte.

Pourtant il n'est pas si difficile d'y entrer, pour peu que l'on ne soit pas sud-coréen. Chaque année, 130.000 personnes visitent l'Etat communiste. Mais la mise en scène présentée aux touristes sonne tellement faux que la visite laisse un goût artificiel, presque surréaliste: chaque groupe est accompagné de deux guides qui ne le quittent jamais. Ils indiquent les visites obligatoires et surtout, les (très) nombreuses interdictions. 

Dans "Ostensiblement ordinaire", le photojournaliste Michal Huniewicz est parvenu à montrer ce que les images que l'on connaît de ce pays ne montrent pas. Il ne fait pas que mettre en avant l'absurdité des mises en scène, on les connaît par cœur. Il parvient surtout à capter l'authenticité qui se cache derrière le décor.

Des images rares

Inspiré par le dessinateur Guy Delisle, il a voulu expérimenter ce sentiment d'étrangeté, de voir de ses yeux ce qu'est un Etat totalitaire. Et une fois sur place, il a succombé à la tentation de contourner les règles.

Grâce à son téléphone portable, le photographe David Guttenfelder avait déjà réussi à capturer quelques instantanés inédits de la vie nord-coréenne, que le régime avait mystérieusement toléré alors qu'ils brisaient la plupart des règles édictées. Armé d'un visa de tourisme, le photojournaliste Michal Huniewicz a multiplié les stratagèmes pour échapper à la surveillance de ses gardiens, et les images qu'il a rapportées sont rares.

Des paysans dans les champs, des charrettes sur les routes défoncées, des travailleurs qui rentrent du travail, entassés dans un bus... Ce sont autant de tranches de vies spontanées qui paraîtraient banales partout, mais qu'on ne connaissait pas vraiment de la Corée du Nord.

En matière de photographie comme dans tout autre domaine dans le glorieux pays de la Juche (la doctrine communiste nord-coréenne), les restrictions s'empilent. Joint par BFMTV.com, Michal Huniewicz explique:

"Vous pouvez prendre des photos partout sauf à chaque fois qu'on vous dit que c'est interdit. Par exemple, il est interdit de prendre des soldats et équipements militaires en photo, aucune photo dans le train qui vous emmène à Pyongyang n'est autorisée. Pas non plus de photos d'alcool dans l'hôtel, ou de certaines zones autour de la zone démilitarisée..."

Ruses de Sioux

Michal Huniewicz a tiré parti du moindre espace de liberté pour faire des images interdites, trop tenté de "jauger le sérieux de tous ces interdits". Il a profité des trajets en train ou en bus pour photographier ce qu'il voyait du pays à travers la vitre. Il faut travailler vite et profiter du moindre moment de distraction des guides qui assurent la surveillance.

Dans la rue, il a suffi qu'il soit devancé de 15 secondes par les guides pour saisir l'opportunité d'entrer dans un magasin réservé aux Nord-Coréens, chose rigoureusement interdite aux visiteurs... Ça lui a juste laissé le temps de prendre ce que ce pays protège si jalousement des regards étrangers: les images des rayonnages vides qui contredisent la prospérité vantée par les dirigeants d'un pays que l'on sait accablé par les famines.

Au retour, le photographe a usé de ruses de Sioux pour garder ses précieuses images. Il a caché ses cartes mémoire et a rempli celles qu'il avait rangées en évidence de dizaines de photos autorisées sans intérêt. Il s'agissait de faire perdre du temps aux contrôleurs. Pour attirer moins l'attention, il a monté son objectif le plus petit, à l'aspect le moins professionnel, sur son appareil. Au moment de passer le contrôle, il a mis les réglages de son boîtier en polonais pour semer la confusion à l'agent qui le manipulait pour vérifier les images.

"Notre guide nous a annoncé qu'on serait mis en prison si l'on trouvait des photos interdites dans nos affaires. Dans le train, certains ont décidé de supprimer ces photos eux-mêmes, moi, j'ai tenté ma chance et j'ai caché mes cartes mémoire partout dans mon grand sac."

"Ils avaient l'air effrayé"

De tout son voyage de contrebandier d'images, il ne s'est pas vraiment senti menacé, sauf au moment du départ:

"Les trois heures à la frontière étaient horribles. Je crois que je m'en suis bien sorti parce que je n'avais pas de smartphone; ils se sont focalisés sur ceux qui en avaient un. Je suis simplement parti en ayant l'air le plus confiant possible, j'ai eu de la chance, je pense."

Michal Huniewicz n'a malheureusement pas pu communiquer avec des Nord-Coréens, chose absolument proscrite. Partout où il est allé, la population était soigneusement écartée des visiteurs par les guides. Les touristes ne risquent rien de plus qu'une remontrance s'ils sont surpris en train de communiquer avec une personne du quartier, mais ce dernier, lui, serait mis en danger.

"Ils avaient l'air effrayé. Je n'ai pu prendre que deux photos de gens souriants. J'ai eu l'impression d'être perçu comme quelqu'un de dangereux pour eux, comme si une brève interaction pouvait leur attirer des problèmes".

"Je me suis ajusté"

Un drôle de voyage qui laisse au public des images précieuses et au photographe une expérience déstabilisante. Vivre quelques jours sous le joug d'un régime totalitaire, même avec un statut privilégié de touriste étranger, laisse un goût bizarre: 

"La plus grosse surprise a été le changement qui s'est opéré en moi: après quelques jours, j'étais devenu très soucieux d'obéir aux ordres, j'essayais de faire plaisir à mes guides, ça ne me pesait plus d'être sans cesse dirigé. En d'autres termes, je me suis ajusté".

Le reportage de Michal Huniewicz est visible sur le site de partage de photos Imgur, où il a eu un succès retentissant. Il a été diffusé d'abord dans une première série puis il a publié la suite. Il y raconte tout son périple (en anglais). Une troisième série de photos est à venir.