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Chine

“Gros Canard Jaune”, gloires et misères de la censure chinoise

L’enfilade de canards est en fait un détournement de la célèbre photo de Jeff Widener, "L'homme de Tiananmen"

L’enfilade de canards est en fait un détournement de la célèbre photo de Jeff Widener, "L'homme de Tiananmen" - -

Un détournement de la célèbre photo de la place Tiananmen dans lequel les chars sont remplacés par des canards en plastique a eu un succès singulier sur les réseaux sociaux chinois. Au-delà de son amusante apparence, cette image symbolise cette année le très sérieux bras-de-fer entre les Chinois et la censure gouvernementale.

Ce mardi 4 juin, une poignée de grotesques canards en plastique disposés en rang d’oignons est devenue si célèbre sur le Twitter chinois, Weibo, qu’elle s’est retrouvée largement partagée sur nos réseaux sociaux occidentaux. Cet intérêt réside dans la charge symbolique que ces mignons canetons portent en eux: ils représentent la résistance face à la censure du gouvernement chinois.

L’enfilade de canards (copies conformes de celui signé Florentijn Hofman qui trônait dans le port de Hong-Kong au mois de mai) est en fait un détournement de la célèbre photo de Jeff Widener, représentant un homme seul face à une colonne de chars. “L’homme de Tianamnen”, aux yeux du monde, est devenu le symbole de cet épisode tragique de l’histoire chinoise. Remplacer les chars par des canards est une manière d’évoquer cet événement interdit et de se moquer de la censure.

Empêcher toute commémoration

Comme chaque année, les internautes chinois mobilisent des trésors de créativité pour contourner la censure du gouvernement lors de la date anniversaire du massacre de la place Tiananmen, un tabou absolu. L'humour est une arme privilégiée. Et comme chaque année, c’est une dure et longue journée pour les opérateurs de cette censure, qui font tout pour qu’on ne mentionne pas ce massacre qui a causé la mort de milliers d’ouvriers en 1989.

Les autorités chinoises sont sur le pied de guerre pour empêcher toute commémoration, qu’elle soit physique ou bien virtuelle, sur Internet et les réseaux sociaux. On appelle ironiquement ce jour “Internet Maintenance Day”. A l’image des sites web hors d’accès pour cause de maintenance, le Web chinois est partiellement hors-service, et de nombreux fonctionnaires travaillent sur le réseau...

Partiellement hors-service car, plus que d’ordinaire, les pages web et recherches internet sensibles sont rendus inaccessibles. Qu’un internaute chinois tente de rechercher “Tiananmen”: non seulement cela ne donnera aucun résultat, mais il risque de se mettre en délicate situation.

La censure jusqu'à l'absurde

Les messages séditieux publiés sur le Web sont rapidement “harmonisés” (censurés) par l’administration qui les purge de toute mention interdite, avec une efficacité rare. Selon certains témoignages, cela ne prend pas plus de quelques minutes. En retour, les internautes ont inventé des codes, et la date interdite du “4 juin” est devenue, pour les initiés, “35 mai”. Ils se sont tellement multipliés qu'ils sont devenus un véritable langage ésotérique.

Pour lutter contre ces messages cryptés, la censure est étendue à l’absurde. En 2012, l’indice de clôture de la bourse de Shanghai a été censuré car, par manque de bol, il était tombé sur 64,89 points. Soit juin, le 4 et 1989. Coïncidence? Le bureau de la censure n’a pas voulu prendre de risques, et l’indice a été injustement privé de réseaux sociaux, à la grande surprise des analystes boursiers.

Le mot “bougie”, symbole de commémoration utilisé par ceux qui veulent célebrer le 4 juin, est aussi interdit à la recherche. Ainsi que, depuis hier, “Gros Canard Jaune”. Car oui, sous ses airs débonnaires, le canard en plastique est en fait un objet hautement subversif.

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Gros Canard Jaune a vécu

Leur discours sévèrement surveillé, les internautes utilisent l’image pour transmettre leurs messages jugés trop contestataires, en affichant comme avatar une bougie afin de marquer une forme de commémoration, par exemple.

Les images de bougies étant supprimées par la censure, les internautes ont commencé à mettre d’autres objets évoquant la bougie, portant le même message: une torche olympique, par exemple. Les autorités interdiront-elles les flammes en avatar qu’elles seront aussi sec remplacées par une autre métaphore. Weibo a donc verrouillé les images de profils pour la journée.

Identifié par les autorités, Gros Canard Jaune n’est plus. Mais il sera bientôt remplacé par un autre personnage dans le grand jeu du chat et de la souris auquel se livrent les Chinois et leur gouvernement.

Olivier Laffargue