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Rodolfo Cazares: le dernier otage français n'était pas Serge Lazarevic

Rodolfo Cazares a été enlevé le 9 juillet 2011.

Rodolfo Cazares a été enlevé le 9 juillet 2011. - Otages du Monde

Serge Lazarevic est libre, il n'y a officiellement plus d'otage français en captivité dans le monde. Pourtant, le dossier Rodolfo Cazares, un chef d'orchestre franco-mexicain enlevé le 9 juillet 2011, est loin d'être clos. Si les autorités refusent de le considérer comme "otage", elles assurent que ce n'est qu'une question de vocabulaire. Ses proches dénoncent un manque d'intérêt.

Article mis à jour le 11/12/2013 à 14h20: ajout de la définition du qualificatif d'otage dans la convention internationale contre les prises d'otage ratifiée par la France le 9 juin 2000.

"La France ne compte plus d'otage dans le monde." C'est par ces mots que François Hollande a annoncé mardi 9 décembre la libération de Serge Lazarevic, détenu depuis le 24 novembre 2011 par al-Qaida au Maghreb islamique. Plus d'otage? Ce n'est pas l'avis des proches de Rodolfo Cazares, chef d'orchestre franco-mexicain enlevé il y a plus de trois ans, qui déplorent le silence des autorités sur ce dossier.

Rodolfo Cazares, à l'époque directeur du théâtre de Bremerhaven, en Allemagne, est enlevé avec sa famille le 9 juillet 2011 à Matamoros, dans le nord-est du Mexique. Cette nuit-là, vers 4 heures du matin, un commando de six à huit hommes armés et cagoulés enlève une quinzaine de personnes. Femmes et enfants sont relâchés quelques jours plus tard. Les cinq hommes, dont Rodolfo Cazares, sont gardés captifs. C'est le Cartel du Golfe qui a agi, un important groupe de narcotrafiquants.

Tout a été tenté

On soupçonne un règlement de comptes crapuleux doublé d'une erreur sur la personne. Rapidement, une rançon de 100.000 dollars est demandée par les trafiquants, puis payée par la famille. A partir de là, le contact est rompu, le prisonnier n'est jamais remis à ses proches. Tout a été tenté par Ludivine Barbier-Cazares, sa femme: des procédures judiciaires ont été lancées en France et au Mexique, le Quai d'Orsay s'est saisi de l'affaire, Laurent Fabius (dans un courrier) et même François Hollande (lire la question numéro 8) eux-mêmes ont affirmé suivre l'affaire "avec le plus grand sérieux" et avoir "mobilisé tous leurs services". Une pétition a été signée par plus de 70.000 personnes. Mais l'enquête semble piétiner et les proches n'ont plus de nouvelles.

France 3 avait rencontré Ludivine Barbier-Cazares l'année dernière. La femme du chef d'orchestre avait alors raconté son calvaire.

"Lorsqu'il y a des revendications politiques, cela en fait un otage"

Pourquoi Serge Lazarevic est-il "le dernier otage français" en dépit du cas Rodolfo Cazares? Le ministère des Affaires étrangères répond à BFMTV.com:

"Les autorités françaises estiment que quand une personne est enlevée et qu’il y a des revendications politiques, cela fait de lui un otage. Au contraire, dans le cas de Rodolfo Cazares, l'enlèvement a clairement un caractère mafieux."

Or, par le passé, les victimes d'autres enlèvements crapuleux ont été qualifiées d'"otages". C'est par exemple le cas des otages du voilier Le Ponant, en 2008. On peut le constater sur divers documents provenant du Quai d'Orsay (voir ici page 26 et  page 9).

Cette définition du Quai d'Orsay est d'autant plus étonnante que la France a ratifié le 9 juin 2000 la convention internationale contre les prises d'otage, qui décrit très différemment la condition d'otage. Cette définition ne fait pas de distinction quant au motif de l'enlèvement:

"L’acte de prise d’otages au sens de la Convention se réfère à quiconque s’empare d’un otage, ou le détient et menace de le tuer, de le blesser ou de continuer à le détenir afin de contraindre un État, une organisation internationale intergouvernementale, une personne physique ou morale ou un groupe de personnes, à accomplir un acte quelconque ou à s’en abstenir en tant que condition explicite ou implicite de la libération de l’otage."

l'association Otages du monde, Patricia Philibert, secrétaire générale, s'interroge: "Alors ça veut dire que tous les otages enlevés pour des raisons crapuleuses ne sont pas des otages? Je ne comprends pas". Alexis Gublin, l'avocat de Ludivine Barbier-Cazares, est plus direct: "Pour les familles, entendre dans tous les médias que l'on peut se féliciter de la libération du dernier otage, c'est insupportable". Pour l'avocat, Rodolfo Cazares n'est pas le seul dans cette situation d'oubli. Il cite notamment le cas de Guy-André Kieffer, un journaliste franco-canadien enlevé à Abidjan en 2004. Son dossier vient d'être rouvert par les autorités ivoiriennes.

Mettre la pression sur l'administration chargée de l'enquête

Au Quai d'Orsay, on considère que ce n'est qu'une question de vocabulaire. Otage ou pas otage, cela ne veut pas dire que les cas d'enlèvement sont traités différemment:

"La disparition de Monsieur Cazares n’est absolument pas sous-estimée par les autorités françaises. Il n'y a pas deux poids, deux mesures".

Selon maître Alexis Gublin, considérer Rodolfo Cazares comme otage dans les déclarations publiques aurait peut-être permis de mettre plus de pression sur l'administration mexicaine chargée de l'enquête:

"C'est la mobilisation médiatique qui entraîne la mobilisation politique. Si on l'avait considéré comme otage, on continuerait aujourd’hui d'en parler, ce qui contribuerait à mettre la pression sur les autorités mexicaines."

Même son de cloche à Otages du Monde. Hervé Ghesquière, grand reporter à France Télévisions et ancien otage contacté par BFMTV.com, est aussi du même avis: "Cela aurait changé les choses. Il y aurait plus de moyens mis en œuvre, des investigations pour essayer de le localiser".

"Manifestement, il y a des otages à plusieurs vitesses"

Le silence, selon le Quai d'Orsay, est une stratégie qui masque l'activité diplomatique réelle. Au ministère, on précise: "Nous avons par exemple 2.600 prisonniers français à l’étranger. Le ministère des Affaires étrangères n’en parle jamais et pourtant notre mobilisation est réelle et quotidienne. Plus le cas est complexe, plus les services de l’Etat sont silencieux".

Alexis Gublin considère, lui, que l'on a jeté l'éponge :

"C'est un habillage sémantique qui cache un désintérêt. Manifestement, il y a des otages à plusieurs vitesses et c’est assez difficilement compréhensible pour les familles. Si on en parlait, on arrêterait de penser que tout est arrêté parce qu'il est vraisemblablement mort. Parce que ça, c'est insupportable."