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États-Unis

Peine de mort: le Texas a-t-il exécuté un homme innocent?

Cameron Todd Willingham, au moment de son arrestation en 1992.

Cameron Todd Willingham, au moment de son arrestation en 1992. - -

Le "Washington Post" vient de publier des documents montrant qu'un témoin crucial qui avait mené à la condamnation à mort d'un homme aurait été "acheté" par le procureur du procès à l'époque. Récit.

L'histoire - tragique - d'un père de famille américain exécuté en 2004 pour le meurtre de ses trois fillettes dans l'incendie de leur maison refait surface outre-Atlantique.

Cameron Todd Willingham, 34 ans au moment de son exécution, a toujours clamé son innocence. Mais cet Américain avait été condamné, en 1992, sur la foi du témoignage de son co-détenu, Johnny E. Webb.

Des enquêteurs privés viennent de publier des documents démontrant que ce témoin a menti à la justice sur ordre du procureur, jetant un immense trouble quant à la culpabilité de Cameron. Retour sur les faits.

Des rumeurs terriblement accablantes

Nous sommes le 23 décembre 1991, dans la petite ville de Corsicana, au Texas, quand un incendie détruit en pleine journée la petite maison de la famille Willingham. La mère, Stacy, est à l'extérieur au moment du drame, terminant les courses de Noël. Le père, Cameron Todd, un solide gaillard moustachu, réussit à s'en sortir avec quelques brûlures. Mais les trois fillettes, deux jumelles âgées de 1 an, et leur grande soeur, âgée de 2 ans, n'en rééchapperont pas. Rapidement, la justice soupçonne Cameron Todd d'avoir déclenché l'incendie pour tuer ses enfants. L'homme s'en défend, affirmant qu'il a tout fait pour sauver ses "bébés" coincées à l'intérieur. En vain.

Dans le voisinage, les rumeurs vont bon train. Cameron Todd, connu pour ses accès de colère, est sans emploi, et certains affirment qu'il maltraitait sa femme et ses enfants. Une voisine raconte même que lorsqu'elle a aperçu Cameron devant sa maison en feu, il tentait de déplacer sa voiture pour éviter qu'elle ne brûle, alors que les fillettes agonisaient à l'intérieur de la maison. Le 8 janvier, une équipe du SWAT, l'équivalent du GIGN français, interpelle le père de famille et le place en détention provisoire.

Un mois plus tard, des expertises, contredites depuis, montrent qu'un liquide inflammable a été versé dans la maison. Elles seront l'un des piliers de l'acte d'accusation contre Cameron Todd Willingham lors de son procès. Un des magistrats locaux, Patrick C. Batchelor, ne mâche pas ses mots lorsque l'homme est mis en examen pour meurtres: "Si vous vous étiez soucié autant de vos enfants que de vos bières et de votre jeu de fléchettes, vous auriez pu les sauver", assène le juge. Mais les preuves manquent encore, et le dossier reste fragile.

Johnny E. Webb, l'homme par qui tout va basculer

C'est alors que rentre en scène Johnny E. Webb. Petite frappe toxicomane de 22 ans, l'homme se retrouve en détention provisoire pour un cambriolage, et sympathise dans les couloirs de la prison avec Cameron Todd. La suite, il vient de la raconter, plus de 22 ans après les faits, à Innocence Project, un organisme américain qui oeuvre à démontrer l'innocence de personnes condamnées.

Dans deux entretiens enregistrés et dévoilés par le Washington Post lundi, Johnny raconte que le procureur de la République du comté de Navarro, John H. Jackson, l'a approché à l'époque en lui demandant de faire "parler" Cameron Todd. "Il m'a convoqué dans son bureau. Il a étalé sur la table des photos des cadavres des petites filles de Cameron, et m'a dit: -Johnny, ça pourrait être tes filles. Ce mec est coupable."

Webb, peu convaincu, exige d'obtenir quelque chose en échange. "Si tu m'aides, ce cambriolage que tu as commis... Il n'existera plus", lui aurait répondu le procureur, poursuivant: "Je veux juste que tu me dises qu'il t'a avoué ce crime. Je veux que tu sois capable de le dire devant la justice, sinon, nous aurons un meurtrier en liberté dans les rues." Webb finit par accepter. Nous sommes alors en février 1992.

"Je veux juste dire que je suis un homme innocent"

En mars de la même année, Johnny E. Webb est jugé et condamné à 15 ans de prison. Cinq mois plus tard, il est appelé à la barre par le procureur Jackson en tant que témoin lors du procès de Cameron Todd Willingham. Les yeux plongés dans ceux des jurés, la voix chargée de larmes, il clame que sa conscience le torture nuit et jour dans sa cellule, et qu'il se sent obligé de "balancer" son camarade de prison: oui, Cameron Todd lui a avoué avoir tué ses filles pour masquer les traces de maltraitance sur leurs petits corps. L'autopsie ne révèle pourtant aucune blessure antérieure à l'incendie. Mais Webb se montre convaincant. Trois jours plus tard, Willingham est condamné à la peine de mort.

Durant les années qui suivent, Webb reste en prison. Des échanges de lettres entre lui et le procureur Jackson, révélés par Innocence Project, montrent que le détenu s'impatiente de ne pas être "aidé" comme prévu, et craint pour sa vie car il est désormais vu comme une "balance". Le magistrat lui demande d'être patient, promet qu'il fait tout son possible pour le sortir, et lui fait verser de l'argent sur son compte. Des documents extrêmement accablants pour l'homme de loi, désormais retraité, qui assure aujourd'hui mordicus que tout cela est entièrement "fabriqué" et qu'il n'a jamais conclu de "marché" avec son témoin principal.

Le 17 février 2004, Cameron Todd Willingham meurt d'une injection létale, après avoir mangé son dernier repas, trois enchiladas et deux parts de tarte au citron. En guise d'adieu au "public" venu assister à son exécution, il lâche ces quelques mots: "Je veux juste dire que je suis un homme innocent, condamné pour un crime que je n'ai pas commis." A son ex-femme, qui avait fini par croire à sa culpabilité, il lance: "Stacy, puisses-tu brûler en enfer, sal*pe."

Johnny E. Webb, lui, est aujourd'hui un homme libre, marié, et rangé des "affaires". Dans ses confessions tardives, l'homme ne laisse pas de place au doute: "Cameron ne m'a jamais rien dit. J'ai menti." Mais pourquoi sortir maintenant de son silence, plus de dix ans après la mort de l'homme qu'il a fait condamner? "Parce que c'est une histoire qui a plus ou moins broyé ma vie ces vingt-deux dernières années".

Alexandra Gonzalez