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Amérique du Nord

Etats-Unis: comment un hacker a fait de la vie d'une famille un enfer

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Pendant trois ans, un pirate informatique s'est acharné sur la famille Strater. Leur vie privée, sociale et numérique a complètement été anéantie. Récit.

L'histoire d'Amy et Paul Strater donne le vertige. De quoi avoir envie de disparaître éternellement de la surface du web. Durant trois longues années, "un mystérieux fantôme digital" s'est acharné contre le couple et son fils, "un esprit frappeur" 2.0 bien déterminé à transformer leur quotidien en un perpétuel calvaire.

De fausses alertes à la bombe allant jusqu'aux livraisons hebdomadaires d'objets en tout genre... sans parler des comptes mail ou Twitter détournés: un véritable arsenal a été mis en oeuvre pour broyer l'existence de cette famille toute simple habitant la petite ville d'Oswego, à 70 km de Chicago, dans l'Etat de I'llinois. Pourquoi une telle obstination? Le magazine américain Fusion a rencontré Amy et Paul. Voici le récit de leurs mésaventures.

Une banale histoire entre hackeurs

C'est un différend entre leur fils âgé de 20 ans, Blair, et un autre jeune Finlandais de trois ans son cadet, Julius Kivimaki, qui est à l'origine du cauchemar. Les garçons, tous deux des hackeurs, se retrouvent un jour en désaccord au sujet de l’arrivée d'un nouveau sur leurs serveurs respectifs. "C'était un incident mineur, le genre de dispute qui arrive tous les jours sur ces réseaux de discussion", explique le journaliste qui a rencontré la famille. Si Blair est passé à autre chose, Julius n'en démord pas et prend l'affaire très à coeur. Au point qu'il décide de se venger et de pourrir la vie du jeune homme et de celle de sa famille. La machine infernale était lancée.

Le premier acte malveillant remonte à novembre 2012, lorsqu'un officier de police reçoit un email d'une adresse similaire à celle de Blair, avec en objet une alerte à la bombe. La menace est prise très au sérieux car en 2010, Blair avait été accusé d’avoir hacké le site web de son école. Résultat: il a été arrêté puis jeté en prison pendant trois semaines jusqu’à ce que son innocence soit prouvée.

Livraisons intempestives et "swatting"

Puis vient le temps des livraisons intempestives. Toutes les semaines, les Strater reçoivent des pizzas non commandées par leur soin ou encore des fleurs, mais aussi de grandes quantités de gravier ou de sable... Toutes les semaines, pendant des années, ce qui ne devrait être qu'un canular se transforme en un rituel infernal. "Oui, vous avez la bonne adresse, non, on n'a pas commandé ceci, oui, on sait qui c'est", répètent inlassablement les Strater aux différents livreurs qui se rendent à leur domicile.

Mais le point d'orgue est réellement atteint le 24 octobre 2013 quand, en pleine nuit, la police accourt chez Blair, après qu'un coup de téléphone anonyme se fait passer pour le jeune homme affirmant qu'il a tué sa mère. Une pratique, répandue aux Etats-Unis, qu'on appelle le "swatting". Celle-ci consiste à faire intervenir des unités spéciales de la police (comme le SWAT aux États-Unis ou le GIPN en France), chez une personne sous prétexte d’une urgence imaginaire.

Réputation sociale ruinée

Après avoir réussi à faire résilier l'abonnement au gaz et à l'électricité d'Amy et Paul, Julius, aidé probablement d'autres hackeurs, s'en prend à leur existence numérique. Tout y passe: adresses mail, réseaux sociaux... Il ruine complètement leur "e-réputation". En avril dernier, il prend le contrôle du site "Tesla Motors" ainsi que le compte Twitter de son co-fondateur Elon Musk, suivi par plus de 2 millions de personnes, avec comme message: "Ce compte Twitter est désormais sous le contrôle de Henry Blair Strater d'Oswego, en Illinois, Appelez-moi au xxx". Inutile de préciser que son téléphone a beaucoup sonné.

Le compte envoyait également des messages en rafales aux abonnés. Un mois plus tard, c'est au tour d'Amy d'en faire les frais. Le jeune hackeur prend possession de ses comptes Twitter et LinkedIn, et publie sous son nom des insultes racistes et antisémites. "Je me sens livrée à moi-même. Je ne peux pas retrouver de travail, mon mariage a été brisé. Il n'y a pas un jour qui passe sans que je me demande s'il ne serait pas plus simple de mettre fin à mes jours. Je n'ai plus rien", témoigne-t-elle dévastée.

"Ils ont perdu leur boulot, leurs amis. Ils ont développé une forme d'anxiété chronique et souffrent d'autres problèmes psychologiques. Plus d'une fois, ils décrivent leur vie comme ruinée par leur mystérieux bourreau", résume Fusion

50.700 actes cybercriminels

Le cauchemar a pris fin en juillet dernier. Julius Kivimaki a été arrêté et condamné à deux années de prison avec sursis par la justice finlandaise pour les 50.700 actes cybercriminels dont il a été reconnu coupable. Ses activités numériques font l’objet d'une surveillance.Blair Strater s'est dit "complètement dégoûté" à l'égard de cette faible condamnation. "J'ai perdu totalement confiance en la justice et même dans le FBI", a-t-il réagi. Le jeune hackeur finlandais, lui, n'aurait exprimé que très peu de regrets.

Quant à Amy Strater, si elle a un conseil à nous donner, c'est celui-ci: "N'utilisez pas Twitter, n'utilisez pas LinkedIn, n'utilisez pas Facebook. Tenez-vous éloigné des réseaux sociaux". En deux mots, "Restez discret", ajoute Paul de son côté.

Mélanie Godey