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Affaire Weinstein: pourquoi les victimes se sont tues aussi longtemps

L'actrice Gwyneth Paltrow a dénoncé le comportement d'Harvey Weinstein.

L'actrice Gwyneth Paltrow a dénoncé le comportement d'Harvey Weinstein. - AFP

Des dizaines d'actrices et mannequins accusent le producteur de cinéma de harcèlement et d'agressions sexuels. Des faits qui pourraient remonter jusqu'à vingt ans en arrière. Comment expliquer une telle omerta pendant de si nombreuses années, alors que, de l'avis de tous, "tout le monde savait"?

Le "Dieu", le faiseur de carrières, a chuté. Harvey Weinstein, le producteur le plus puissant du cinéma américain, est au cœur d'un véritable scandale. Des dizaines d'actrices et mannequins l'accusent de harcèlement et d'agressions sexuels. Et ce depuis des décennies. Il a fallu des révélations dans la presse américaine pour que les langues se délient. Depuis une semaine, les témoignages se multiplient. Toutes ses victimes racontent le même scénario et l'assurent: tout le monde connaissait les agissements du magnat de Hollywood.

Muriel Salmona, psychiatre et psychotraumatologue spécialiste des troubles psychotraumatiques et des violences sexuelles, répond aux questions de BFMTV.com.

BFMTV.COM - Gwyneth Paltrow, Angelina Jolie, Léa Seydoux, pour ne citer qu'elles, toutes sont de célèbres actrices et se sont tues pendant des années face aux agissements de Harvey Weinstein. Comment expliquer ce silence?

MURIEL SALMONA - Au moment des agissements, elles étaient en début de carrière. Harvey Weinstein n’est pas fou, il choisit ses victimes où elles sont dans une situation de fragilité. Il a une position d’autorité, comme un père, par exemple, c’est lui qui est reconnu. C’est une situation d’inégalité effroyable. Plus les gens exercent des violences sexuelles, plus elles ont besoin d’en exercer. Il était protégé par de nombreuses personnes et ses victimes n’étaient pas assez puissantes pour s’élever contre lui.

Quel a pu être l'élément déclencheur qui a permis à ces femmes d'oser briser le silence et dénoncer un puissant?

C'est souvent très personnel. Si on reste en contact avec l’agresseur, on reste sous l’emprise. Les victimes n’ont pas les ressources intérieures pour dénoncer leur agresseur. Mais le temps joue donc pour les révélations. Souvent, les victimes doivent attendre leurs 40, 50 ans pour estimer avoir la légitimité de parler. Elles se disent qu’elles sont mûres, réfléchies, elles se sentent la capacité de le faire. Avec l’âge, il y a moins d’emprise, moins de vulnérabilité, on est plus solide dans sa carrière. Mais surtout, il y a la volonté de venir au secours de celle qui a osé briser le tabou.

Quelles sont les conditions qui ont permis de libérer la parole?

Aujourd’hui, elles peuvent parler car elles sont plus puissantes. Elles n’ont plus rien à perdre. De plus, il y a moins d’opprobre, moins de honte sur les victimes. Elles peuvent s’exprimer sans avoir peur d’un lynchage de la société. Nous sommes dans une société qui a tendance à plus écouter. Il y a eu Bill Cosby, il y a eu ce scandale en Grande-Bretagne où l’ancienne vedette de la BBC (Jimmy Savile, NDLR) est accusée d’avoir abusé sexuellement des mineures pendant 60 ans. Mais la société n'est pas encore prête à prendre en compte le traumatisme causé par ces violences. Il est très grave. Il s’aggrave avec la loi du silence. Pourtant, on peut les traiter, mais les médecins ne sont pas formés, il y a peu de centres d’accueil.

Justine Chevalier