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Affaire des e-mails d’Hillary Clinton: ce que révèle l’enquête du FBI et ce que risque la candidate

Hillary Clinton, le 10 juin 2016.

Hillary Clinton, le 10 juin 2016. - Alex Wong - Getty Images - AFP

Après des mois d’enquête, le FBI a rendu ses conclusions sur l’affaire des e-mails professionnels envoyés par Hillary Clinton via un serveur personnel lorsqu’elle dirigeait le Département d’Etat américain. Des conclusions sévères, qui mettent en avant de nombreuses négligences, mais qui recommandent de ne pas entamer de poursuites.

Dans la course à une élection, rares sont les candidats qui ne doivent pas se dépêtrer de quelques casseroles. Hillary Clinton, prétendante à l’investiture démocrate pour la présidentielle américaine, n’échappe pas à cette règle. Depuis de longs mois, elle doit faire face à l’affaire des e-mails professionnels envoyés entre 2009 et 2013 lorsqu’elle était à la tête du Département d’Etat. Alors que ces messages contenaient pour beaucoup des informations sensibles, Hillary Clinton a utilisé de manière constante des boîtes de messagerie et un serveur privés pour sa correspondance, au lieu de réseaux sécurisés et spécifiquement prévus pour ce genre de postes à hautes responsabilités.

L’affaire a connu ce mardi 5 juillet un nouvel épisode, et pas des moindres. Le FBI, qui s’est saisi d’une enquête à ce sujet, a rendu ses conclusions. Lors d’une conférence de presse, James Comey, le directeur du FBI, a présenté les enseignements de cette enquête, à l’issue de laquelle le Bureau fédéral d’investigation a recommandé de ne pas engager de poursuites contre Hillary Clinton.

30.000 e-mails, auxquels s'ajoutent des milliers de messages

"Notre enquête s’est intéressée à l’existence ou non de preuve montrant que des informations classifiées ont été improprement conservées ou transmises sur ce serveur personnel", a rappelé le directeur, précisant aussi de quels chefs d’accusation la candidate pouvait être accusée: faire une mauvaise utilisation de données classifiées, intentionnellement ou du fait d’une négligence, constitue un crime. Retirer des informations classifiées d’un système de stockage approprié est en revanche un délit.

Comme l’a rappelé James Comey, l’enquête du FBI a aussi tenté de déterminer l’existence d’un éventuel piratage lié à ce serveur personnel. Cela a impliqué des mois de travail, car l’ancienne secrétaire d’Etat a en réalité utilisé plusieurs boîtes mails personnelles successives, dont certaines ont été désactivées au bout d’un certain temps.

Les enquêteurs du FBI ont donc lu approximativement 30.000 mails transmis par Hillary Clinton en 2015. James Comey a détaillé par quelle méthode les enquêteurs ont pu identifier les éléments classifiés contenus dans tous ces e-mails.

"Quand un e-mail était présumé comme contenant de possibles informations classifiées, le FBI le transmettait à tout département du gouvernement américain qui pouvait être "propriétaire" d’informations dans ces e-mails, afin que le département puisse déterminer si l’e-mail contenait des informations classifiées quand il a été envoyé et reçu, ou s’il existait une raison pour classifier l’e-mail" a posteriori, a-t-il exposé.

110 e-mails contenaient des éléments classifiés

Les résultats ont été plutôt probants, puisque 110 e-mails, contenus dans 52 chaînes de messages, ont ainsi été signalés par le gouvernement comme contenant une information classifiée leur appartenant.

Il faut savoir que plusieurs niveaux de classification existent. Dans le détail, sept de ces chaînes de mails contenaient des informations classées Top Secret (Secret défense) au moment de l’envoi du mail. 36 chaînes contenaient des informations classées Secret information, et huit autres des données classées Confidential information, le niveau le plus bas de la classification. 2000 mails additionnels ont été classifiés de manière rétroactive, passant au rang de Confidential information.

Un marqueur spécifique existe pour les mails contenant des informations classifiées. Mais l’enquête du FBI révèle que parmi les messages qu’il a épluchés, seul un très petit nombre comportait ce marqueur.

"Même si l’information n’est pas marquée 'classifiée' dans un mail, les participants qui savent ou devraient savoir que le sujet en question est classifié sont tout de même obligés de le protéger", a insisté James Comey.

"Ils ont été extrêmement négligents"

Des milliers d’autres e-mails, acquis de différentes manières et ne faisant pas partie des 30.000 fournis aux autorités, ont aussi été étudiés. Certains avaient été effacés, mais le FBI a précisé qu’aucun élément ne permettait de penser qu’ils avaient été supprimés dans le but de cacher quelque chose. Au total, en 2014, 60.000 messages se trouvaient sur le serveur personnel d’Hillary Clinton. Des dizaines d’entretiens ont aussi été réalisés, Hillary Clinton elle-même ayant répondu aux questions du FBI samedi 2 juillet.

“Même si nous n’avons pas trouvé de preuve claire montrant que la secrétaire d’Etat ou ses collègues ont violé intentionnellement les lois prévalant au maniement des informations classifiées, nous avons la preuve qu’ils ont été extrêmement négligents, dans leur manière de gérer des informations hautement sensibles et classifiées", a déclaré le directeur du FBI.

"Aucun procureur raisonnable n'entamerait de poursuites"

Le FBI a ensuite explicité ses recommandations au ministère de la Justice, précisant que ces recommandations ne sont habituellement pas rendues publiques mais que "dans ce cas, étant donné l’importance du problème, une transparence inhabituelle est de mise".

D’après le Bureau fédéral d’investigation, aucun "procureur raisonnable" n’entamerait de poursuites, à la lumière des éléments révélés par cette enquête.

"Tous les cas débouchant sur des poursuites impliquent une combinaison" de plusieurs éléments, a détaillé James Comey: "le mauvais maniement volontaire et clairement intentionnel d’informations classifiées", a-t-il cité, ou encore "des indications de déloyauté envers les Etats-Unis, ou des efforts pour faire obstruction à la justice". "Nous ne voyons pas ces éléments ici", a-t-il déclaré.

Une enquête "compétente, honnête et indépendante"

“Par conséquent, même si le Département de justice prend les décisions finales sur de tels sujets, nous exprimons notre point de vue, qui est qu’aucunes poursuites ne nous semblent appropriées", a affirmé James Comey. Et le chef de la police fédérale de conclure:

"Ce que je peux assurer au peuple américain, c’est que cette enquête a été menée de manière compétente, honnête et indépendante."

La justice devrait suivre l'avis du FBI

Hillary Clinton pourrait donc être à l’abri de poursuites, alors que le dossier a été transmis par le FBI à la justice. La ministre américaine de la Justice, Loretta Lynch, a assuré vendredi qu'elle se rangerait aux recommandations du FBI et des procureurs impliqués dans l'enquête, tentant ainsi d'écarter tout soupçon d'interférence politique dans ce dossier ultra-sensible.

En revanche, rien ne dit que les mots du chef de FBI suffiront à rassurer l’électorat américain. D’après plusieurs sondages, beaucoup ne font pas confiance à la candidate à l’investiture démocrate. L’entretien de Hillary Clinton avec le FBI dans le cadre de cette enquête est même, d’après le Washington Post, "un parfait symbole du handicap dont souffre la candidate dans sa course à la Maison-Blanche: beaucoup de gens ne lui font pas confiance".

La bonne volonté affichée par Hillary Clinton, qui s'est excusée de ses imprudences et a volontairement proposé cet entretien avec le FBI, ne suffit sans doute pas non plus à effacer la suspicion qui entoure cette affaire, d’après le quotidien de la capitale.

Bill Clinton au coeur d'une polémique

"Dans les sondages, même les gens déclarant qu’il prévoient de voter pour Clinton disent qu’ils pensent qu’elle a menti, ou a quelque chose à cacher", écrit le Washington Post, qui relie ce manque de confiance à la "vie publique chaotique" de la candidate, plus qu’à son opposant républicain, Donald Trump, qui ne manque jamais une occasion de l’attaquer.

Ce manque de confiance est en outre exacerbé ces derniers jours par une vive polémique autour de Loretta Lynch. La ministre de la Justice a rencontré la semaine dernière l'ex-président Bill Clinton, lors d’un entretien dénoncé comme un arrangement illégal par Donald Trump, le candidat républicain.

L’avion de l’ancien président et époux d’Hillary Clinton s'est retrouvé lundi stationné près de celui de Loretta Lynch à l'aéroport de Phoenix, dans l’Arizona. Bill Clinton a été vu est montant dans l'appareil de la ministre pour discuter avec elle. Loretta Lynch a présenté cet entretien comme relevant du hasard, mais les républicains se sont évidemment engouffrés dans la brèche. "Seul un fou pourrait croire que la rencontre entre Bill Clinton (et la ministre américaine de la Justice) n'a pas été arrangée ou que Hillary ne savait pas", a-t-il déclaré sur Twitter. De quoi raviver les braises d'un dossier brûlant dont la candidate n'est pas près de se débarrasser.
Charlie Vandekerkhove