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"Les Brésiliens ne veulent plus être les spectateurs des changements de leur pays"

Un manifestant se couche, enveloppé dans un drapeau brésilien, en travers de la route près du stade national Mane Garrincha, à Brasilia.

Un manifestant se couche, enveloppé dans un drapeau brésilien, en travers de la route près du stade national Mane Garrincha, à Brasilia. - -

La mobilisation ne faiblit pas au Brésil. Dans la nuit de lundi à mardi, le pays a connu ses plus grandes manifestations depuis 1992. De nouveaux rassemblements sont prévus dans les prochains jours. Qui sont les manifestants, et que réclament-ils?

Le Brésil connaît depuis la mi-juin les manifestations les plus importantes des 20 dernières années. Lundi, plus de 250.000 personnes ont défilé dans plusieurs grandes villes du pays. Jeudi, de nouveaux rassemblements sont prévus.

Prix des transports, réformes politiques, Mondial de football… les motifs de protestations sont nombreux. Quelle est l'origine du mouvement, qui sont les protestataires? BFMTV.com a posé la question à Frédéric Louault, professeur en science politique à l’Université Libre de Bruxelles, et chercheur associé à SciencesPo au sein de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC).

Qu'est-ce qui a provoqué les manifestations au Brésil?

Tout est parti de l’annonce de la hausse du prix du ticket de bus [à Sao Paulo, on est passé de 1,04 à 1,11 euro. Un prix élevé dans un pays où le salaire minimum est de 678 réals, environ 230 euros]. Les manifestations se sont d’abord concentrées sur le sujet, et puis s'y sont mêlées les frustrations des Brésiliens.

Pendant dix ans, le Brésil a connu une forte croissance. Beaucoup de gens sont sortis de la pauvreté, leurs attentes ont augmenté. Or depuis un an et demi, le pays n’est plus en si bonne santé économique. La croissance augmente moins vite qu’avant, il commence à y avoir de l’inflation sur des produits de consommation. Les Brésiliens craignent que leurs nouvelles attentes ne soient pas pourvues. On leur a promis beaucoup, mais la crise revient...

Et puis, certains profitent tout de même de la croissance plus que d’autres, notamment les représentants politiques locaux. Depuis longtemps, ils sont nombreux à être accusés de corruption – d’ailleurs les dernières manifestations qui ont eu lieu dans le pays concernaient la corruption.

Bref, les Brésiliens en ont assez d’être les spectateurs des transformations du pays, au lieu d’en être les acteurs.

Le Mondial de foot en 2014 est aussi mis en cause...

Les milliards de dollars investis dans les stades et les infrastructures ont déclenché la colère des Brésiliens, car les habitants estiment que ces sommes ne s’inscrivent pas dans une stratégie à long terme pour le pays, et donc pour eux.

Pourtant, l’amour du foot est intact là-bas. Seulement, on a vendu aux gens un évènement formidable qui allait être bon pour l’image du pays. Et maintenant, on réalise que les coûts prévus représentent à peine la moitié des coûts réels, qu'il va falloir payer très cher. Tous ces investissements soulèvent beaucoup de questions.

Qui sont les manifestants?

Ce n'est pas l'ensemble de la population qui descend dans les rues. Il s'agit des classes moyennes, des gens sortis de la pauvreté, qui ont accès à la consommation.

Ce sont des personnes socialement intégrées, des étudiants peu politisés qui passent du temps sur les réseaux sociaux - beaucoup de jeunes en fait, parce que le gouvernement actuel comme le précédent avaient fait de nombreux appels du pied aux jeunes, en leur disant qu’ils étaient l’avenir du pays. On les a appelés, et désormais ils réagissent.

Comment a réagi le gouvernement?

La réaction de Dilma Roussef a été la bonne. Elle a plutôt tendu la main aux manifestants, en leur assurant que les manifestations faisaient partie de la démocratie, et que les manifestations ne seraient pas réprimées. Les manifestants avaient besoin de ce message. D’ailleurs Dilma Roussef n’aurait pas pu en délivrer un autre: pendant la dictature, elle a été arrêtée et torturée. De fait, elle est très sensible aux droits de l’Homme.

Localement, les autorités réagissent parfois différemment: les polices locales notamment ont parfois violemment réprimé les défilés. Il faut dire qu'ils ont parfois essayé de pénétrer dans certains bâtiments gouvernementaux... Cela a dû mettre le feu aux poudres. Mais les Brésiliens sont traumatisés par la violence, ils n'en veulent plus.

Quelles suites pour le mouvement?

Quelles que soient que les réactions des autorités, elles n'encouragent pas les manifestants à rentrer chez eux. Ils veulent de l’action, du concret. Ils profitent aussi du fait que les projecteurs soient braqués sur le pays à cause de la coupe des Confédérations et du Mondial 2014 pour se faire entendre.

Pourtant, je ne suis pas sûr que le mouvement continue longtemps. Le Brésil est un pays où il est difficile de donner de l’unité à la mobilisation. C’est un pays énorme, un Etat fédéral. Les habitants de chaque région vont manifester dans la grande ville, mais il n’y a pas de message d’unité. Transports, corruption, Mondial 2014, réformes du système de santé: la protestation est très hétérogène, les motifs sont différents.

Quant au Mondial de foot de 2014, je pense qu'il n'y a pas de danger: les Brésiliens manifesteront, mais ils s'arrêteront avant le début de la compétition. Le foot est une religion dans le pays, et les gens savent qu'une coupe du monde est un événement unique.


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• Nombre d'habitants: 192.379.287

• Salaire minimum: 678 réals, soit 230 euros

• Salaire moyen: 1810 réals, soit 659 euros

• Taux de chômage: 4,9% en 2009

Sources: AFP et Bercy

Propos recueillis par Ariane Kujawski