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TOUT COMPRENDRE - Au Sénégal, les origines d'un mouvement de colère inédit

Des manifestants brandissent le drapeau sénégalais lors d'une manifestation à Dakar, le 8 mars 2021.

Des manifestants brandissent le drapeau sénégalais lors d'une manifestation à Dakar, le 8 mars 2021. - JOHN WESSELS / AFP

Le Sénégal, pays traditionnellement stable d'Afrique de l'Ouest, est touché par une flambée de violences, à la suite de l'interpellation d'un opposant au président Macky Sall. Les appels au calme se multiplient.

Depuis une semaine, le Sénégal est secoué par un mouvement social d'une ampleur inédite pour ce pays considéré comme l'un des plus stables d'Afrique de l'Ouest. De violentes manifestations, faisant plusieurs morts, ont éclaté à plusieurs reprises pour réclamer la libération d'un opposant politique et dénoncer le pouvoir de Macky Sall. Ce dernier, tout comme l'Union européenne, multiplient les appels au calme. BFMTV.com fait le point sur les origines de ces tensions, mais aussi sur les possibilités de sortie de crise.

· Quel est l'élément déclencheur des manifestations ?

L'un des principaux opposants au pouvoir actuel, Ousmane Sonko, 46 ans, est arrêté mercredi dernier et placé en garde à vue pendant cinq jours. Officiellement, il est interpellé pour trouble à l'ordre public, alors qu'il se rend en cortège au tribunal où il est convoqué pour répondre à des accusations de viol portées contre lui par une employée d'un salon de beauté dans lequel il est allé se faire masser.

Personnalité au profil antisystème, le chef du parti Pastef-Les Patriotes crie au complot ourdi par le président pour l'écarter de la prochaine présidentielle. Il est en effet arrivé troisième lors de la précédente élection en 2019 et constitue donc un rival de première importance.

Son arrestation provoque la colère de ses partisans, mais elle réveille aussi l'exaspération accumulée par la dégradation, au moins depuis le début de la pandémie, des conditions de vie des Sénégalais.

Ousmane Sonko lors d'une conférence de presse après sa libération de détention provisoire, le 8 mars 2021 à Dakar (Sénégal).
Ousmane Sonko lors d'une conférence de presse après sa libération de détention provisoire, le 8 mars 2021 à Dakar (Sénégal). © Seyllou / AFP

• Comment s'est embrasé le pays ?

À l'annonce de l'interpellation d'Ousmane Sonko, de premières tensions éclatent à Dakar, la capitale, puis dans d'autres grandes villes du Sénégal. Le lendemain, un premier mort est à déclarer à la suite de heurts avec les forces de l'ordre en Casamance, dans le sud du pays.

Le gouvernement met de l'huile sur le feu en suspendant pendant 72 heures le signal de deux télévisions privées, soi-disant coupables d'avoir diffusé "en boucle" les images des troubles. En réaction, les affrontements entre jeunes et forces de police reprennent de plus belle. Ils s'accompagnent de pillage de magasins, en particulier d'enseignes françaises, avec 14 supermarchés Auchan attaqués. Le bilan officiel passe à quatre morts et des dizaines de blessés.

Les protestataires, portés par le collectif Mouvement de défense de la démocratie (M2D), comprenant le parti de l'opposant arrêté, des partis d'opposition et des organisations contestataires de la société civile, réclament, en plus de la libération de l'opposant, la démission du président.

Qualifié "d'apprenti dictateur", Macky Sall a perdu "l'autorité morale" pour rester au pouvoir selon eux.

• Quelle est la réaction du gouvernement?

Samedi soir, le ministre de l'Intérieur appelle au calme mais prévient que l'Etat emploiera "tous les moyens nécessaires" pour rétablir l'ordre.

"Toutes les personnes auteures d'actes criminels seront recherchées, arrêtées, poursuivies et traduites devant la justice", promet-il.

Lundi, Ousmane Sonko est mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour les accusations de viol. À sa libération, il appelle les Sénégalais à rester mobilisés: "la révolution est déjà lancée, rien ni personne ne pourra l'arrêter", clame-t-il.

En réponse, Macky Sall prend enfin la parole à la télévision publique pour appeler au "calme et à la sérénité". "Tous, ensemble, taisons nos rancœurs et évitons la logique de l'affrontement qui mène au pire", ajoute-t-il, avant d'annoncer un "allègement" du couvre-feu dans deux régions, dont celle de Dakar.

• Quelles ont été les prises de position de l'ONU, de l'UE et de la France ?

Dès vendredi, le représentant de l'ONU en Afrique de l'Ouest lance un appel au "calme et à la retenue", tandis que le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres se dit "très préoccupé" et demande "d'éviter une escalade".

L'Union européenne procède également à une déclaration laconique pour faire part de sa "préoccupation" et déplorer "les victimes". "Nous appelons à la retenue, à éviter la violence, à la protection des personnes et des biens ainsi qu' une restauration pacifique du calme et du dialogue."

Le compte de l'Ambassade de France au Sénégal se contente de retweeter ce communiqué.

• Et maintenant ?

En plus de l'allégement du couvre-feu, Macky Sall a reconnu que les efforts pour l'emploi des jeunes "restent encore insuffisants" et promis de débloquer de nouveaux fonds en leur faveur. Il a aussi observé que "la colère qui s’est exprimée ces derniers jours est aussi liée à l’impact d’une crise économique aggravée par la pandémie". La population attend désormais que les paroles soient suivies d'actes.

Le collectif Mouvement de défense de la démocratie appelle à des manifestations "pacifiques" à Dakar et dans le pays samedi pour réclamer la libération de tous les prisonniers qu'il qualifie de "politiques".

Le M2D demande aussi une journée de deuil national la veille, vendredi, en hommage aux onze personnes tuées selon lui dans les troubles. Il appelle tous les Sénégalais à s'habiller en blanc vendredi et à accrocher des tissus blancs à la façade de leur maison ou à leur voiture.

Esther Paolini avec AFP Journaliste BFMTV