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Soldats français accusés de viols sur mineurs en Centrafrique: des avocats dénoncent une "enquête bâclée"

Des soldats français de l'opération Sangaris en Centrafrique.

Des soldats français de l'opération Sangaris en Centrafrique. - Jean-Pierre Campagne - AFP

Deux associations de défense des droits des enfants, parties civiles dans l’affaire de soupçons de viols sur mineurs en Centrafrique, redoutent un non-lieu dans l’enquête. Elles exigent de nouvelles auditions des militaires mis en cause.

La mine grave, la voix ferme, trois des avocats des parties civiles ne cachent plus leur inquiétude dans "l'affaire Sangaris". Presque trois mois après la clôture de l'instruction, ils sont convaincus que l'enquête s'oriente vers un non-lieu, dans un dossier où aucune mise en examen n'a été prononcée.

Les associations Innocence en Danger et Enfance et Partage, représentées par ces trois avocats, ont donc déposé ce mercredi auprès des juges d'instruction plusieurs demandes de nouveaux actes de procédure, dans l'espoir de la relancer avant les réquisitions du parquet, qui doivent être rendues avant le 20 mars prochain.

"Tout le travail de recoupement qui était à faire n'a pas été fait. Ce n'est pas parce que ces enfants-là sont loin de notre territoire, ce n'est pas parce que ce sont des 'va-nu-pieds' et des 'crève-la-faim' qu'ils ne méritent pas que l'on fasse une instruction totale, comme notre justice sait le faire quand ça l'intéresse de le faire", tonne Me Rodolphe Costantino, avocat d’Enfance et Partage.

Des accusations très graves

Dans ce dossier, 41 mineurs, majoritairement des garçons, dont certains n'avaient que 7 ans au moment des faits présumés, déclarent avoir été victimes de viols et d'agressions sexuelles par des soldats français de la mission Sangaris entre 2013 et 2015, dans un camp de réfugiés en Centrafrique. Des viols qu'ils auraient subis en échange de nourriture, ou de petites sommes d'argent.

Ces accusations très graves avaient fait l'objet d'une enquête préliminaire pendant près d'un an, menée par le parquet de Paris, mais elles n'avaient éclaté au grand jour qu'à la faveur d'un rapport de l'ONU, rendu public par le journal britannique The Guardian, en avril 2015. Peu de temps après la publication de cette note confidentielle, le parquet de Paris avait ouvert une information judiciaire, et saisi trois juges d'instruction pour poursuivre les investigations, qui ont établi que quatorze militaires étaient soupçonnés de ces faits présumés.

Des "lacunes" durant l’enquête?

Des investigations conduites par la gendarmerie prévôtale, une branche de la gendarmerie nationale, seule habilitée à enquêter sur des militaires en opération extérieure. Or, pour ces trois avocats des parties civiles, Me Rodolphe Costantino, Me Marie Grimaud, et Me Agathe Morel, il y a eu "conflit d'intérêts" durant l'enquête.

"L'armée a été juge et partie dans ce dossier, et cela se ressent dans les auditions des enfants par exemple, durant lesquelles l'enquêteur principal n'a pas caché son scepticisme quant aux accusations qu'ils pouvaient porter", estime Me Marie Grimaud.

L'avocate dénoncer le fait que seuls 15 des 41 enfants se déclarant victimes ont été entendus par la justice française. Elle dénonce aussi le fait qu'aucun listing complet de tous les militaires français qui ont transité par ce camp durant la période concernée n'ait été dressé, avec leurs descriptions physiques, afin de les recouper avec les témoignages des mineurs.

Aujourd'hui, elle et ses confrères demandent donc l'établissement de cette liste, de nouvelles auditions de militaires, voire des confrontations entre eux. Car des écoutes téléphoniques réalisées durant l'enquête, et consignées dans le dossier d'instruction, auraient révélé "une concertation évidente entre ces militaires pour accorder leurs versions", poursuit Me Grimaud.

Pas de poursuites pour des vidéos pédopornographiques

L'avocate s'étonne également de l'absence de poursuites judiciaires à l'encontre de l'un des soldats mis en cause, le seul placé en garde en vue au cours de l'enquête. Un militaire dont l'exploitation du téléphone a mis au jour la présence de "six vidéos pédopornographiques", sans qu'il ne soit interrogé à ce sujet.

De leur côté, les juges d'instruction estiment qu'aucun élément n'a permis durant l’enquête de corroborer les accusations portées contre les soldats. Des accusations qualifiées de "fragiles" par une source proche de l’enquête, qui ont parfois varié au fil des auditions, et qui se sont heurtées à certaines invraisemblances - un soldat aux yeux bleus mis en cause par un enfant qui parlait de ses "yeux gris", détaille ainsi Me Costantino.

Ces magistrats ont désormais un mois pour répondre favorablement ou non aux demandes d'actes d'enquête de ces trois avocats. S'ils les rejettent, dès que le parquet rendra ses réquisitions, au plus tard le 20 mars prochain, ils pourraient rendre une éventuelle ordonnance de non-lieu, mettant un point final à deux ans et demi d’investigations.

Alexandra Gonzalez