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"Le sort de la France et celui du Mali sont liés"

Plusieurs villes du Nord-Mali sont tombées sous le contrôle des rebelles touaregs ces derniers mois.

Plusieurs villes du Nord-Mali sont tombées sous le contrôle des rebelles touaregs ces derniers mois. - -

"Facilitateur" : voilà le rôle que devrait endosser la France dans le règlement du conflit nord-malien où elle pourrait apporter un appui logistique. Mais pourquoi la France se préoccupe-t-elle autant du Nord-Mali ?

Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, l’avait affirmé la semaine dernière, François Hollande et Laurent Fabius l’ont confirmé et martelé depuis les Nations Unies, à New York : la France soutiendra logistiquement une intervention militaire dans le nord du Mali. Mercredi, le chef de l'Etat a même demandé une convocation "urgente" du Conseil de sécurité de l'ONU sur le dossier malien. Pourquoi cette insistance ? Quels sont ses intérêts dans cette zone géographique ? Eléments de réponse avec Alain Antil, chercheur et responsable du programme Afrique subsaharienne à l'Institut français des relations internationales (Ifri), spécialiste du Sahel.

BFMTV.com : Pourquoi la France se préoccupe tant du conflit dans le nord du Mali ?

Alain Antil : Il y a plusieurs raisons. La première est certainement que la France n’a pas envie de voir s’installer durablement un espace de plus de 800.000 km2 contrôlé non pas par un Etat, mais par une des organisations islamistes armées (Aqmi, Mujao et Ansar Eddine). On sait que ces organisations commencent à accueillir des djihadistes venus d’ailleurs, notamment du groupe islamiste radical Boko Haram basé au Nigeria, mais aussi d’Algérie, du Maroc… De plus, il s’agit d’une zone géographique elle-même située dans une région carrefour de plusieurs tensions. Nul doute que les partenaires de la France dans cette région ne veulent pas, eux non plus, d’un foyer de violence qui s’installerait dans la durée à leurs frontières. 

La France a-t-elle des intérêts dans cette région ?

Oui, mais si l’on considère le cas du Nord-Mali, ce sont des intérêts diplomatiques et stratégiques bien avant d’être des intérêts économiques et énergétiques. Les permis de prospection miniers ont été attribués par l’Etat malien quelques années avant le début de la crise, donc les prospections ne sont pour le moment pas avancées. Dans cette configuration, je ne crois pas que nous avons à faire à une géopolitique des ressources.

L'inquiétude de Paris au sujet de la stabilité de cette région s’explique-t-elle aussi par le lien historique entre le Mali et la France ?

La France reste la première puissance occidentale dans cette région d’Afrique. L’aide française est d’ailleurs réclamée par ces pays eux-mêmes lorsqu’ils font face à des crises. Il y a des liens historiques forts du fait que le Mali est une ancienne colonie française, c’est certain. Et il ne faut pas oublier qu’il y a une très importante diaspora malienne dans l’Hexagone. Le sort des deux pays est donc lié, d’une certaine manière.

En quoi consisterait l'appui logistique annoncé par François Hollande ?

Il s’agirait principalement de fournir des renseignements à l’armée malienne, de l’aider à développer ses capacités d’écoute et le transport de ses troupes armées, voire de fournir un appui aérien. Le président de la République malienne, Dioncounda Traoré, a envoyé début septembre une liste précise des fournitures militaires requises à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (Cedeao). 

Bien que Laurent Fabius affirme qu’il n’y aura pas de troupes au sol, un renfort humain pourrait-il également être envoyé ?

On peut tout à fait envisager l’intervention d’hommes issus des forces spéciales. En revanche, il semble difficilement imaginable d’envoyer des forces terrestres, chargées de stabiliser la situation dans les villes. Ce serait une mauvaise idée car un déploiement de soldats français motiverait encore plus les djihadistes à faire la guerre. Il s’agirait alors d’aller affronter le militaire occidental, qui symbolise l’ennemi juré. De plus, le territoire est très vaste, environ 800.000 km². La difficulté principale n’est donc pas de reprendre les villes aux islamistes, mais de pouvoir d’assurer durablement leur sécurité et leur contrôle, et d’aller ensuite tenter de neutraliser les islamistes dans les vastes espaces désertiques du Nord-Mali.

Ce n’est pas impossible, mais cela demande un investissement en hommes extrêmement important. C’est d’ailleurs là toute la difficulté pour l’armée malienne : comment parvenir à assurer le contrôle de ces zones, face à des ennemis certes aguerris et bien armés, mais surtout extrêmement mobiles. La mobilité et la connaissance intime du milieu humain du Nord-Mali sont les deux clés d’une solution militaire. C’est donc d'abord à l’armée malienne que revient ce travail, et elle doit être notamment soutenue dans ses capacités à se mouvoir rapidement.

Quelles seraient les conséquences d’un tel soutien pour les six otages français retenus au Sahel ? Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) a menacé de les tuer si la France intervient dans le conflit malien...

En appuyant, mardi, depuis la tribune de l’ONU, l’idée d’un soutien logistique à l’armée malienne, François Hollande a déjà répondu à Aqmi. Mais il n’est pas certain que cet appui pèse sur le sort des otages. Aqmi continuera de toute façon à exercer cette menace car c’est une vraie arme de communication contre l’Etat français. Cela peut aussi devenir une monnaie d’échange pour l’organisation si le rapport militaire tournait demain en défaveur des islamistes au Nord-Mali. Les ravisseurs n’ont pas intérêt à les exécuter puisque le rançonnement constitue la principale ressource d’Aqmi. Mais il faut également se rappeler qu’Abou Zeid, l’un des leaders d’Aqmi, n’a pas hésité à faire exécuter déjà deux otages occidentaux.