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Mali: ce que l'on sait de l'attaque contre un village peul qui a fait au moins 160 morts samedi

Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta en visite le 25 mars 2019 au village d'Ogossagou, après le massacre d'au moins 160 villageois peuls.

Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta en visite le 25 mars 2019 au village d'Ogossagou, après le massacre d'au moins 160 villageois peuls. - Présidence malienne - AFP

D'après les rescapés, les assaillants, habillés en tenues de chasseurs traditionnels, ont tué sans distinction combattants, hommes, femmes et enfants et brûlé les maisons.

Au moins 160 personnes ont été tuées samedi dernier à l'aube, dans le village peul d'Ogossagou, près de la frontière avec le Burkina Faso. Cette tuerie, la plus sanglante depuis la fin des principaux combats de l'opération lancée en 2013 pour chasser les groupes jihadistes contrôlant le nord du pays, s'est produite en pleine visite du Conseil de sécurité de l'Onu au Mali et au Burkina Faso voisin.

  • Que s'est-il passé?

"Je n'ai jamais vu ça. Ils sont venus, ils ont tiré sur les gens, brûlé des maisons, tué les bébés", a raconté à l'AFP Ali Diallo, un vieil homme de 75 ans. Selon les témoignages d'habitants et d'élus locaux, les assaillants, en tenue de chasseurs, ont d'abord attaqué une position où étaient cantonnés des combattants peuls.

Puis ils se sont dirigés vers la maison d'un célèbre marabout, Bara Sékou Issa, qu'ils ont tué avec toute sa famille, ainsi que 18 déplacés qu'il hébergeait, a relaté à l'AFP Bara Dicko, un autre villageois.

"C'est après qu'ils ont attaqué le village, ils ont versé du gasoil sur les cases, les greniers et les hangars, après ils ont mis le feu", tuant à coups de machette ceux qui tentaient d'échapper aux flammes, a-t-il poursuivi. L'homme, qui se trouvait à la sortie du village avec ses bêtes, a dit avoir réussi à prendre la fuite, pour ne revenir au village qu'après le départ des assaillants. "Mes parents sont morts, ma soeur avait été jetée dans le puits, on l'a fait sortir avant d'alerter les gens".
  • Qui est accusé?

Les chasseurs traditionnels dogons sont pointés du doigt par certains responsables locaux et par des rescapés, même si les responsables de cette attaque meurtrière n'ont pas encore été identifiés.

"Ce sont les chasseurs traditionnels qui sont accusés par les rescapés", a rapporté le préfet de la localité de Bankass, Boubacar Kané. "Le village a été attaqué par des chasseurs des milices armées de Dan Nan Ambassagou, dirigées par Youssouf Toloba. Quand ils sont arrivés dans le village, ils ont commencé à tirer sur la population civile. Ils ont découpé à coup de machette des femmes", a affirmé de son côté à RFI Cheick Harouna Sankaré, maire d'une localité voisine.

"Nous n'avons rien à voir avec ce massacre que nous condamnons catégoriquement. N'importe qui peut porter les habits de chasseur, qui sont disponibles au marché", a réagi auprès de BBC Afrique le groupe Dan Nan Ambassagou, dont le gouvernement a annoncé la dissolution.

Dans les colonnes de Jeune Afrique, le chef du groupe Youssouf Toloba rétorque que "le gouvernement ne peut pas dissoudre Dan Na Ambassagou parce que ce n’est pas lui qui l’a créé". "J'ai créé Dan Na Ambassagou parce qu’il y avait des attaques dans le pays dogon, où le gouvernement est absent", maintient-il. 

  • Quelles mesures ont été prises?

En plus de l'annonce dimanche de la dissolution de Dan Nan Ambassagou, le gouvernement malien a limogé les principaux chefs de l'armée. Sur place lundi, le président Ibrahim Boubacar Keïta a promis "sécurité" et "justice".

Mardi, l'Onu a envoyé une équipe de 13 enquêteurs, dont des experts des scènes de crime dans la région de Mopti, a-t-elle annoncé. La porte-parole du Bureau des droits de l'Homme de l'Onu à Genève, Ravina Shamdasani, a expliqué que l'organisation était "en contact direct avec les autorités" et offrait son aide pour "traduire les coupables devant la justice et rompre le cercle de l'impunité".

  • Quelles sont les relations entre les Peuls et les Dogons?

Depuis l'apparition il y a quatre ans dans le centre du Mali du groupe jihadiste du prédicateur Amadou Koufa, recrutant prioritairement parmi les Peuls, traditionnellement éleveurs, les affrontements se multiplient entre cette communauté et les ethnies bambara et dogon, pratiquant essentiellement l'agriculture, qui ont créé leurs propres "groupes d'autodéfense". Ces violences ont coûté la vie à plus de 500 civils en 2018, selon l'Onu.

"Les Dogons, victimes des attaques djihadistes, accusent les Peuls de soutenir les groupes islamistes. Les Peuls, eux, soutiennent que les groupes d'autodéfense dogons bénéficient du soutien du gouvernement", résume BBC Afrique. Le site rappelle aussi que l'histoire des Peuls et les Dogons est marquée par les tensions, notamment autour des cultures et du bétail.

"Les chasseurs sont une confrérie, certes à majorité dogon, mais pas une ethnie", nuance auprès de France 24 André Bourgeot, directeur de recherche au CNRS. "Dans ces groupes de chasseurs, il y a aussi des gens qui viennent de l'extérieur. (...) N'importe qui peut revêtir un uniforme de chasseur et puis ensuite on parle des Dogons", rappelle-t-il.
"Si on additionne tout cela, l'absence de l'État, le banditisme et le jihadisme assimilé aux Peuls, on a une série d'amalgames qui fait croire à une origine ethnique au problème alors que cela ne l'est pas du tout", juge-t-il.
Liv Audigane avec AFP