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Enlèvements au Nigeria: quel rôle peuvent jouer les Occidentaux?

Une image issue d'une vidéo diffusée le 12 mai par Boko Haram et montrant des dizaines de jeunes femmes voilées, présentées comme les lycéennes enlevées mi-avril.

Une image issue d'une vidéo diffusée le 12 mai par Boko Haram et montrant des dizaines de jeunes femmes voilées, présentées comme les lycéennes enlevées mi-avril. - -

Depuis plusieurs jours, la société civile et les autorités occidentales se mobilisent pour tenter d'obtenir la libération des lycéennes enlevées au Nigeria par les islamistes de Boko Haram, il y a maintenant un mois. Mais ces actes peuvent-ils avoir un impact sur leur éventuelle libération?

Un mois de captivité et une mobilisation croissante. Alors que les 223 jeunes Nigérianes enlevées le 14 avril dernier par le groupe islamiste Boko Haram sont toujours détenues, les manifestations de soutien se multiplient au sein de la communauté internationale, à la fois sur Internet -avec le fameux hashtag #BringBackOurGirls- et dans la vie réelle, avec l'organisation de rassemblements, comme ce mardi matin au Trocadéro, à Paris. Les responsables politiques se sont également saisis du dossier et ont proposé leur aide au Nigeria pour tenter de retrouver les adolescentes.

Mais cette mobilisation peut-elle avoir un quelconque impact sur leur libération? Quelle est la marge de manoeuvre des Occidentaux, peu familiers de ce terrain? BFMTV.com fait le point.

> Comment les Occidentaux aident le Nigeria dans cette affaire?

• Envoi d'experts. Depuis quelques jours, la communauté internationale se mobilise pour tenter de porter secours aux lycéennes retenues par Boko Haram. Les Etats-Unis ont ainsi envoyé 26 experts civils et militaires au Nigeria, membres des départements d'Etat et de la Défense, du Pentagone et du FBI, pour assister l'armée nigériane dans les recherches, et participent au survol aérien du nord du pays. De son côté, la France a dépêché une équipe d'experts en renseignement "humain et technique" et en analyse d'images, pour passer au crible les vidéos diffusées par Abubakar Shekau, le chef de Boko Haram.

• Partage d'informations. Israël a également proposé d'envoyer des experts du contre-terrorisme et la Chine de partager des informations recueillies par ses satellites. Autrement dit, il s'agit, pour l'heure, d'un simple appui technique. "Les Occidentaux apportent des compétences en matière de renseignement que ne possède pas le Nigeria, en termes de reconnaissance aérienne, satellitaire, mais aussi en moyens humains qui manquent peut-être sur place", détaille Jean-Luc Marret, spécialiste du terrorisme, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, contacté par BFMTV.com.

> Des négociations directes sont-elles possibles?

• Plusieurs libérations par le passé. Malgré la détermination de ce groupe islamiste, auteur de nombreux massacres au Nigeria et à l'origine de plusieurs rapts dans la région frontalière avec le Cameroun (notamment de Français, comme le père Georges Vandenbeusch et la famille Moulin-Fournier), les négociations restent possibles. "Les gouvernements occidentaux, notamment français, mais aussi nigérian, ont pu négocier par le passé avec Boko Haram, et obtenir des libérations", rappelle Mathieu Guidère, spécialiste de l'islam et du terrorisme, sur BFMTV. Grâce à des intermédiaires basés autour des frontières du Nigeria et du Cameroun, des négociations basées sur des libérations communes et non pas sur des rançons seraient donc envisageables. C'est d'ailleurs ce qu'a proposé Abubakar Shekau, lundi, en réclamant au Nigeria la libération de prisonniers islamistes contre celle des lycéennes, avant d'essuyer le refus catégorique du président nigérian, Goodluck Jonathan.

• Rôle indirect. Dans le cas des lycéennes, malgré leur présence sur place, les experts français devraient se contenter d'un appui logistique. "Je ne vois pas la légitimité de la France pour négocier directement. Sauf si notre ambassadeur à Abuja est bien placé, ou que des diplomates ont des canaux privilégiés pour aller jusqu'aux membres de Boko Haram", fait valoir Louis Caprioli, ancien patron chargé de la lutte contre le terrorisme à la DST (ex-DGSI), spécialiste des réseaux islamistes en Afrique du Nord.

> Une confrontation armée est-elle envisageable?

• Terrain méconnu. Compte tenu de la médiatisation internationale obtenue avec ce rapt géant, Boko Haram pourrait refuser de relâcher les lycéennes sans combattre. Mais pour l'heure, les Occidentaux, qui connaissent mal cette zone, semblent exclure une éventuelle participation à une intervention armée. A commencer par la France. Et cette position devrait être maintenue à l'issue du sommet organisé samedi à Paris visant à coordonner la lutte contre le groupe islamiste, et auquel participeront les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Nigeria et plusieurs de ses pays voisins.

• Un risque pour les otages. "Paris n'enverra pas de forces spéciales, car personne ne connaît le terrain", assure pour sa part Louis Caprioli. "Ceux qui pourraient intervenir sont les Nigérians. Or, quand on connaît la violence des interventions de l'armée nationale, on peut redouter des conséquences pour les otages", explique-t-il. "Sur le plan concret et opérationnel, la marge de manoeuvre des Occidentaux est très étroite. Compte tenu de la dangerosité d'un affrontement pour les jeunes filles, ils vont se contenter de faire pression à l'unisson sur le Nigeria, pour qu'il accepte de libérer des terroristes, ce qui est en soi une atteinte à la souveraineté du pays", résume Louis Caprioli.

> La mobilisation de la société civile a-t-elle un impact?

• Sensibilisation. Les multiples messages de soutien envoyés par la société civile et relayés par plusieurs personnalités depuis quelques jours, notamment sur les réseaux sociaux, ont contribué à sensibiliser l'ensemble de la planète au sort des adolescentes. Cette mobilisation a pu avoir une certaine efficacité puisque, comme l'explique Mathieu Guidère dans le Figaro, "elle a obligé le gouvernement nigérian à se mobiliser sur la question", alors qu'il restait silencieux depuis le rapt, le 14 avril.

• Notoriété renforcée. Toutefois, si elle se veut positive, la démarche peut s'avérer contre-productive, notamment sur le plan local. "Elle donne une notoriété immense au leader Aboubakar Shekau qui devient l'icône de la lutte contre l'Occident, et qui arrivera sans doute à recruter davantage sur place", conclut ainsi Mathieu Guidère.

Adrienne Sigel